mercredi 14 mars 2018

Le cas Cantat

J’ai toujours aimé Noir Désir. C’est Le groupe rock de ma génération. A la fin des années 90, j’ai écouté et réécouté le 666.667 Club. En boucle. Comme j’adhérais à ses paroles ! Comme j’étais d’accord avec Cantat quand il chantait sa haine du FN, sa haine du système, avec des mots que je trouvais toujours justes.


Et puis il y a eu Vilnius. L’impensable. Il est fort probable que  j’ai appris la relation de Marie Trintignant et Bertrand Cantat en même temps que j’ai appris qu’il l’avait tuée. J’ai jamais été très people. Mais bref, c’était le choc. Les images en boucle à la télé. Le procès, la prison.

En même temps qu’était morte une jeune femme sous les coups de son conjoint, on savait que c’en était fini de Noir Désir.

En vieillissant, j’ai toujours regretté de ne pas les avoir vus en concert. J’ai aussi toujours continué à les écouter. J’ai continué à aimer les paroles de Cantat. J’ai continué à aimer sa voix. Malgré tout. Parce que c’était ma jeunesse. Parce que j’aimais cette voix. Parce que j’aimais ce qu’il disait, peu importe ce que l’homme avait fait.

Une douzaine d’années a passé et Cantat est revenu avec Détroit. Discrètement. Il a fait une série de concerts et nous sommes allés les voir jouer. Et oui, j’ai aimé, j’ai adoré chanter avec lui A mon étoile,  Comme elle vient ou Tostaki. A l’époque de Détroit, il n’y avait pas grand monde pour s’offusquer du retour de Cantat. Il a fait sa tournée de concerts. Il y a certainement eu quelques articles, quelques personnes qui ont exprimé leur mécontentement mais rien de terrible.

Et arrive la fin de 2017. Cantat sort son album solo. Il fait la Une des Inrocks. Cette Une, certainement inutile et malvenue, déclenche un tollé. Mais ça retombe vite finalement. En quelques jours, on n’en entend plus parler.

Et arrive 2018. Cantat démarre sa tournée. Là, c’est une envolée. Des levées de boucliers sur les réseaux sociaux. Des articles dans tous les médias, d’abord pour annoncer sa tournée. Ensuite pour relayer ses détracteurs. Des échanges plus virulents les uns que les autres dans les commentaires, des insultes. Les spectateurs de ses concerts sont honnis, conspués. Lui, n’en parlons pas.

Le concert à Strabourg a lieu le 7 mars, veille de la journée des Droits des Femmes. Et Cantat devient soudain le symbole unique des violences faites aux femmes. Des manifestations sont prévues devant la Laiterie. Des demandes faites à la mairie pour interdire le concert, des pétitions signées. Malgré tout, il a lieu. Dans le calme, avec juste quelques tags et quelques caméras de télévision qui attendent le clash et repartent bredouilles.

La polémique continue à enfler. Des départements refusent des subventions à des festivals s’ils maintiennent Cantat. Des manifestations se mettent en place à l’entrée de ses concerts. Ceux qui vont le voir sont interpellés.

Cantat annonce annuler sa participation à tous les festivals prévus cet été. Calmement, dans une publication sur facebook, simple, sobre et humble. Première victoire pour ses détracteurs.

Le même jour, une émission diffuse une interview de la mère de Marie Trintignant, qui, et c’est bien normal, s’offusque qu’il chante, qu’il se produise sur scène. Impossible de la blâmer de penser ça. Elle a perdu son enfant. Sa réaction épidermique quand Léa Salamé veut lui présenter la Une des Inrocks est tout à fait compréhensible.

Le lendemain, 2è victoire, un nouveau concert est annulé. Et la 3e victoire s’y ajoute puisque Cantat sort de sa réserve, va au contact des manifestants devant la salle de concert de Grenoble. On l’insulte, on lui jette des projectiles. Et ça marche. Cantat se lâche, dénonçant l’acharnement qu’il subit. Du pain béni pour ceux qui sont contre lui.

Jusqu’où est-ce que tout cela ira ? Je n’en ai aucune idée. On ne tardera sans doute pas à le savoir.

La question que je me pose c’est qu’est ce qui a changé en 3 ou 4 ans ? Qu’est-ce qu’il s’est passé entre la tournée de Détroit et celle de Cantat ?

Est-ce parce que maintenant il chante sous son propre nom ?

Ou est-ce que ce sont les conséquences de l’affaire Weinstein, des #Metoo et de tout ce qui va avec ?

Ou est-ce que cela va plus loin que ça ? Est-ce que c’est ce poison, qui s’insinue de plus en plus dans notre société, qui fait que chacun donne son avis sur tout et n’importe quoi ? Moi la première, me direz-vous. Mais j’essaie d’interroger, de questionner, de donner mon point de vue dans l’objectif d’échanger. Dans le cas Cantat, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Comme pour beaucoup de sujets d’ailleurs. On juge, on hait, on dénonce, on hurle, on insulte. Le débat n’existe plus. Chacun a raison. L’anonymat des réseaux sociaux a favorisé ce type de comportements. C’est tellement plus simple de hurler derrière un pseudo. Mais la haine sort des écrans, elle se propage. Quand elle parvient à faire interdire un concert, à faire fléchir une mairie, les programmateurs d’une salle de spectacle, un département ; ne sommes-nous pas en droit de nous demander si cela ne va pas trop loin ?

 

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