lundi 22 février 2016

Lettre à un amour impossible


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Je t’ai connu il y a plus de vingt ans, quand tu avais été adopté par une famille que je voyais souvent et que j’aimais beaucoup. Je crois que je suis tout de suite tombée amoureuse de toi. Je devais avoir seize ans et tu étais un tout petit peu plus âgé. Tes grands yeux bleus, tes cheveux blonds coupés au bol comme c’était la mode dans les années 90, je ne me lassais pas de te regarder.

Toi, tu ne me voyais pas vraiment mais ça m’était égal. Je me contentais de cet amour à sens unique même si, à cette époque, je n’avais pas encore perdu tout espoir.

Quelques années ont passé et un terrible accident de bateau a bien failli t’enlever à moi. Même si tu y as survécu, cela t’a malgré tout encore éloigné de moi. Je savais que depuis, d’autres t’aimaient aussi. Il faut dire que tu vieillissais bien. Ton corps était devenu celui d’un homme mais tu avais encore ton visage enfantin. Le contraste était encore plus déstabilisant. Ton regard continuait quant à lui à me transpercer à chaque fois que je le croisais et, par chance, cela se produisait de plus en plus souvent.

Sur une plage d’abord. J'adorais te regarder plonger puis ressortir de l’eau. Plus tard, je t’avais retrouvé à New York. Mais tu n’arrêtais pas de disparaître. Est-ce que ça t’amusait de me voir courir toujours derrière toi comme cela, tandis que tu passais d’un avion à l’autre, d’un boulot à l’autre, presque d’une vie à l’autre ?

J’aurais voulu t’arrêter si j’avais pu. Mais je ne réussissais jamais à t’atteindre. Tu t’es essayé à tous les métiers : chercheur de diamant, aviateur, trader. Tout t’allait plutôt bien finalement. Jusqu’à ce que tu ailles un peu trop loin et que tu finisses enfermé dans un hôpital psychiatrique. Il faut dire que tu en étais arrivé à prendre tes rêves pour la réalité. Il te fallait un peu de repos pour te remettre de ces passages incessants d’un extrême à l’autre. Par contre, avec tout l’argent que tu avais à cette époque, tu aurais pu choisir un lieu d’internement moins glauque. Je m’y étais sentie très mal à l’aise quand j’étais venue te voir.

Aujourd’hui, tu viens de passer les 40 ans, tu es revenu à la réalité et t’es engagé dans de nobles causes comme la sauvegarde de l’environnement, ce qui n’a fait que te rendre encore plus attirant à mes yeux. Moi, je serai bientôt quadra. Malgré tous mes efforts, je n’ai pas réussi à t’atteindre pleinement. D’une certaine manière, nous avons vécu et vieilli ensemble. Tu étais toujours là, pas loin de moi, surgissant régulièrement dans ma vie au gré de tes humeurs. Mon amour fougueux d’adolescente s’est mué en un sentiment plus doux, plus apaisé. Mais il est toujours là, tapi au fond de mon cœur, prêt à resurgir si l’occasion devait se présenter.

D’ailleurs, ce sera bientôt le moment. Plus que deux jours de patience. J’ai rendez-vous avec toi mercredi 24 février à dix heures. Tu n’es pas prévenu que je serai là mais c’est tellement évident. Tu sais que je serai la première installée dans la salle. Il semble que cette fois tu seras plus enlaidi que jamais.

Tu dois penser que l’on ne reconnaîtra ton talent que si tu caches ta belle gueule. Je leur dirais, moi, si je pouvais que, beau ou laid, tu le mérites tellement. Une fois encore, je serai là samedi soir, espérant que tu la reçoives enfin cette consécration. C’est tout ce que je peux faire malheureusement, t’encourager en silence.


Mon beau Léonardo, si ça ne tenait qu’à moi, je peux t’assurer que cela ferait 20 ans que tu l’aurais ton Oscar ...