samedi 25 juin 2016

Panem et circenses – acte 2 - inondations à Wasselonne et Westhoffen - 24 juin 2016








Du pain et des jeux, actes 2- 24 juin 2016. Oubliés à nouveau les jeux. L’Euro s’est justement tu pour quelques jours, le temps de passer des phases de poules aux 8e de finale. L’info du jour, c’est le brexit. Le séisme, le choc : le Royaume Uni a voté sa sortie de l’Europe. On s’offusque ou on se réjouit, au choix. Tiens, ça me fait penser à quelque chose : les équipes du Royaume Uni, qui on ne sait pas trop pourquoi, sont d’ailleurs désunies le temps de cet Euro, peuvent-elles terminer la compétition ? Mais là n’est pas le sujet, les journalistes, les économistes, les places boursières ne plaisantent pas avec ça. Haro sur les britanniques !! Le petit peuple a bêtement voté pour un truc qui va avoir un impact monstrueux sur notre économie. Tous les superlatifs y passent ! L’élite est perplexe ! Ils oublient juste de se demander pourquoi le « petit peuple » a voté comme ça ...

Mais peu importe, en ce 25 juin, dans les petits villages d’Alsace, l’Euro, la victoire du Racing lors de la finale du Top 14 ou le Brexit ne sont pas les sujets de conversation qui priment. Pas besoin de comprendre l’alsacien pour savoir de quoi parlent tous les villageois ce matin quand ils se croisent à la boulangerie. La nature s’est à nouveau rappelée à nous. Nous sommes peu de choses. On ne veut pas le voir et pas l’admettre et pourtant si Dame Nature a décidé qu’un orage tomberait ici, et bien tant pis pour nous si on est sur son chemin.

En tous cas, nous voilà obligés à nouveau d’oublier tout ce qu’il se passe loin d’ici et de revenir à des considérations pragmatiques et locales.

Je vais raconter ce 24 juin encore une fois de mon point de vue. L’idée n’est pas de raconter de ma vie mais de partager une vision à un instant T. C’est ma propre vision mais je suppose que certains s’y retrouveront et auront vécu des émotions quelques peu similaires.

La journée a débuté comme les deux dernières, c’est à dire sous un soleil de plomb. 23 ou 24 degrés dès le matin. Plus de 30 au plus chaud de la journée. Depuis mon bureau, je ne vois qu’un petit coin de ciel bleu et même si je sais que des orages sont prévus, je suis surprise quand je regarde facebook en quittant le boulot et que je découvre que des bouches d’égouts débordent à Westhoffen. Ca me paraît d’abord complètement décalé, voire impossible mais quand je sors et que je vois le ciel noir en direction du sud, je me dis que c’est peut-être vrai finalement …

Je quitte le travail en me demandant combien de temps je vais rouler avant de me retrouver en dessous de ces gros nuages… longtemps finalement. Il n’y a qu’en arrivant à Wasselonne qu’il commence à pleuvoir. Et encore, le plus gros de l’orage est passé. Je pense alors pouvoir rentrer sans encombre. Manque de chance, ce sont les 3 derniers kilomètres qui seront les plus compliqués ! La petite route entre Wasselonne et Westhoffen, toute en bosses, montées et descentes, est envahie par le trop-plein d’eau qui déborde de tous les côtés. Les fossés sont saturés et s’étalent sur la route. A chaque chemin croisé, sa petite coulée de boue. La route est quasi impraticable et pourtant je suis et je croise beaucoup de voitures. C’est l’heure de sortie des bureaux, il y a du monde qui circule. Quand je réussis enfin à arriver à l’entrée de Westhoffen, une file de voitures essaie de sortir de la rue du Fruehof. Je leur fais signe de s’arrêter, leur dis que s’ils peuvent éviter, il vaut mieux ne pas s'engager sur la route de Wasselonne. Mais je ne trouve pas d’écho : on me dit que c’est pareil de l’autre côté. Le conducteur d’une camionnette qui tire une remorque me répond qu’il doit rentrer au dépôt. Certes … Peut-être que ça aurait pu attendre 10 minutes mais après tout, c’est lui qui voit !

Ce que je ne sais pas à ce moment-là, c’est que la RN4 est dans le même état : contournement de Marlenheim, Kronthal : l’eau dévale d’un peu partout et rend la circulation compliquée !

Même punition pour l’entrée de Westhoffen depuis Balbronn ou Traenheim : le ruisseau a débordé et la route est progressivement envahie.

Il ne pleut plus maintenant et l’eau qui était montée des égouts saturés, redescends aussi vite qu’elle était venue. En sortant le chien, qui a quand même envie de faire sa balade, je passe devant un restau où on me dit qu’il y avait 15 cm d’eau quelques minutes plus tôt. Pareil pour la fleuriste mais elle me quitte rapidement en me disant qu’il y a pire ailleurs dans le village car il y a eu des coulées de boue qui sont descendues depuis les collines et qu’elle doit aider des plus sinistrés qu'elle.

A pieds ou en voiture, on ne peut pas aller bien loin car beaucoup de routes sont coupées. Alors me revoilà sur internet, comme il y a un peu plus de 2 semaines, pour essayer de suivre ce qu’il se passe, pour savoir si mes amis ne sont pas touchés. D’ailleurs, ça marche dans les 2 sens puisque beaucoup s’inquiètent de ce qu’il se passe à Westhoffen. Les réseaux sociaux, c’est génial pour tout savoir dans ces cas-là. Info trafic Bas-Rhin, Météo Suivi Alsace permettent de suivre la situation en direct grâce aux photos et commentaires des internautes de toute l'Alsace. Mais ce que certains peuvent être agaçants parfois ! Ils n’hésitent pas à y aller de leur smiley ou autre « mdr » à la vue des images d’inondations. D'autres se plaignent car ils n’ont pas une goutte de pluie et qu’il fait trop trop chaud (doit-on leur rappeler que pas plus tard que mardi dernier,c’est à dire il y a 3 jours, les températures ne devaient pas dépasser 18 ??). D’autres rêvent d’un orage car « c’est trop beau à regarder » ou encore pour rafraîchir un peu leur nuit. J’ai juste envie de leur répondre qu’ils sont en train de commenter des photos de villages inondés et, qui dit villages inondés, dit dégâts, meubles, électroménagers et autres biens fichus, nettoyage et gens très affectés etc etc …

A Westhoffen, plus tard dans la soirée, alors que le soleil et la chaleur sont revenus, beaucoup passent voir l’étendue des débordements près de la salle polyvalente. Le carrefour est encore inondé et les enfants s’amusent d’aller y patauger avec leurs bottes en caoutchouc. Le parc de jeux est encore pour partie sous l’eau. L’enceinte en bois du terrain de pétanque a glissé de plus d’un mètre.

La nuit est ensuite agitée pour beaucoup. La météo promet de nouveaux orages violents et elle ne se trompe pas. On est réveillé par les coups de tonnerre et le bruit des trombes d’eau qui s’abattent à nouveau. Wasselonne a droit à son nouveau cauchemar : ce ne sont pas les mêmes rues que le 7 juin cette fois, mais des scènes similaires : on écope, on racle, on pompe l’eau qui envahit les caves et les garages. La RN4 est à nouveau envahie,le quartier de l’ancienne gare, l’entrée du village en venant de la route de Westhoffen, Brechlingen. La Mossig déborde …

Bref, c’est reparti. Les sinistrés du 7 juin ont dû passer une mauvaise nuit. Comment ne pas regarder chaque noirceur comme une vision cauchemardesque ? Chaque grondement de tonnerre lointain comme le signe d’une prochaine inondation ? Est-ce que ça va encore recommencer ? Quand est-ce que ça va se terminer ?

Les pompiers sont à nouveau mobilisés. Ils ont dû passer une bonne partie de leur soirée et de leur nuit à vider des caves, des garages, peut-être des maisons et on ne peut qu’être admiratif du boulot que font ces hommes.

Ce samedi, on retrouve le ballet des pelleteuses, des nettoyeuses. Le camion de la SDEA tourne pour vérifier chaque bouche d’égout (enfin, je suppose que c’est ce qu’ils font). A Wasselonne, les pompiers tentent de vider le bassin de rétention qui, vu les traces de boue et l’état du grillage tout autour, a certainement débordé cette nuit. Certaines routes sont redevenues brunâtres alors que la plupart avaient été soigneusement nettoyées. Les panneaux « route barrée » fleurissent à nouveau. Entre Wasselonne et Westhoffen, de l’eau coule encore depuis les champs. Elle rejoint toute celle qui sature encore les fossés.

Heureusement, la météo nous dit que c’est fini pour cette fois. On devrait retrouver le soleil rapidement. « Jusqu’à quand ? », ne peut-on s’empêcher de se demander. Et si c’est la question qui est sur toutes les lèvres aujourd’hui près de chez moi, c’est probablement le cas un peu partoutdans le Grand Est. Je citerai, au gré de ce que j’ai vu circuler sur le net : Saverne dont le centre ville était sous 25 cm d’eau, Geispolsheim, Romanswiller à nouveau, Strasbourg, Kuttolsheim, Balbronn, Still, Salenthal et probablement tant d’autres dans les régions voisines ...


Panem et circenses... j’espère qu’il n’y aura pas d’acte 3.  

lundi 20 juin 2016

Chronique d’une journée ordinaire dans un village ordinaire

A l’ouverture des yeux ou des volets ce matin, s’enthousiasmer de voir enfin le soleil briller ! Finies la pluie et la grisaille, c’est l’été et le ciel bleu est de retour. Ne pas tenir compte de ce que dit la météo ! Il pleuvra ce soir ? Tant pis, on verra bien ! Pour l’instant il faut profiter !

Boire un café. Mettre le nez dehors pour la promenade matinale du chien. Les collégiens et les lycéens sont déjà partis en bus. C’est bientôt l’heure de l’école pour les primaires : une dizaine d’enfants attend devant. Les instits sont déjà là mais le portail n’est pas encore ouvert. Une maman embrasse son petit. Un plus grand lance un vague signe de main à la sienne. Pas de démonstration d’amour devant les copains en CM2 ! Trop la honte ! La cloche retentit, les portes s’ouvrent et la nuée d’enfants déferle dans la cours.

On se presse devant la boulangerie. Des ouvriers boivent leur café avant de partir sur le chantier. Un « papy » vient chercher son journal et sa baguette, comme tous les matins. Dans le centre du village, on démonte les stands et les chapiteaux, seules traces de la journée de fête des cerises qui a battu son plein la veille malgré le temps incertain. On a mangé des quantités de tartes flambées, on a réussi à grapiller quelques cerises, on s’est baladé parmi les camelots, on a mangé des glaces parce que c’est de saison, on a écouté les concerts. Le match de l’équipe de France a été diffusé dans la soirée afin de patienter jusqu’à l’heure du feu d’artifice qu’on a enfin réussi à tirer en profitant d’une éclaircie un peu plus longue que les autres ….

Petit détour par Wasselonne. Quelqu’un qui traverserait le bourg ne penserait pas qu’il était inondé il y a moins de quinze jours. La vie a repris son cours. En passant dans les rues qui ont le plus souffert, on se rend compte que toutes les fenêtres et portes sont grandes ouvertes, pour espérer faire sécher les murs. Vite, vite, profiter de ces quelques rayons de soleil et de la douceur de l’air, qui pour une fois n’est pas humide ! Ici, on nettoie les traces de boue de la façade à coups de karcher, là on voit encore des morceaux de laines de verre qui attendent d’être ramassés. Des chaises de jardin sèchent devant un garage. Le PMU est à nouveau ouvert et accueille déjà de nombreux clients à cette heure matinale.

Se garer sur le parking de la rue des Messieurs. Il y reste quelques traces de boue pour nous rappeler qu’il était sous l’eau. Les rues abîmées ont été gravillonnées pour être à nouveau utilisables. Une seule est encore barrée. Rejoindre le marché du lundi matin qui a envahi le centre : on se bouscule pour acheter ses fruits, ses légumes, son pain, ses œufs frais. L’ambiance y est agréable. On se rencontre, on se salue, on échange quelques mots, on remplit son cabas.

Un peu plus tard on croise déjà les enfants qui rentrent de l’école. Les nounous sont là pour les accompagner, les faire manger, les ramener deux heures plus tard.

L’après-midi, encadrer les enfants du collège qui vont voir un spectacle. Les suivre en descendant à pieds de l’établissement jusqu’à la salle des fêtes. Les entendre rire, s’invectiver, s’insulter copieusement, s’embêter, se taquiner. Les regarder admirer le spectacle, se moquer et envier à la fois leurs copains montés sur scène pour participer. Les écouter râler parce que c’est nul mais s’esclaffer à chaque blague. Les raccompagner jusqu’au collège. Arriver cinq minutes après toute la troupe pour attendre un gamin qui marche plus lentement à cause d’une douleur à la cheville, et l’écouter te raconter sa touchante histoire.

Rentrer à la maison. Remettre le nez dehors dehors pour la promenade de fin de journée du chien. Slalomer autour des voitures garées sur les trottoirs, éviter toutes celles qui circulent pour rentrer dans le village. Il est 17h30, c’est l’heure où les rurbains rentrent du travail. Les petites rues se transforment provisoirement en autoroutes. Dans une heure, tout sera revenu à la normale.

C’est aussi l’heure d’affluence au « kiosque de Lili » où on peut acheter des fraises et des cerises bien rouges, de la rhubarbe ou des asperges suivant la saison. Les fraises attirent l’œil et les voitures s’arrêtent pour les emporter. 



Un peu plus loin, une dame profite du temps clément pour nettoyer sa cour au karcher. Faire un détour pour ne pas se faire arroser, laisser le chien patauger dans les flaques d’eau.

Entendre des hurlements d’enfants qui jouent sur un trampoline. S’éloigner du village pour rejoindre les chemins de terre toujours boueux. Les cerisiers ont encore quelques fruits bien rouges.


 Baisser les yeux et tirer sur le chien pour que cette fois, il évite la flaque d’eau noire qui s’écoule du fumier posé au bord du chemin.

Croiser quelques voitures qui, pour éviter le long détour de l’autoroute du centre-ville, préfèrent prendre les chemins de traverses, y compris en Audi A3 …

Admirer inlassablement le paysage : vignes, arbres fruitiers, entrée de la route des vins, collines puis montagnes.

Regarder l’avion descendre vers l’aéroport tout proche. 


Croiser des cyclistes, toujours les mêmes : tenues complètes, lunettes de soleil, gourde, ils sont prêts pour le Tour de France. Ils viennent probablement de rentrer après leur journée de travail. Peut-être que passer deux heures à jouer avec leurs enfants (ou plutôt à les entendre hurler « je veux pas faire mes devoirs », « je veux pas prendre ma douche ») ne les branchait pas après une fatigante journée de travail et qu’ils ont préféré laisser à leur femme le soin de gérer ça (elles le font tellement bien) pour aller se détendre en avalant quelques kilomètres de bitume ?

Croiser à nouveau quelques restes de la fêtes des cerises : incontournables banderoles Crédit Mutuel !!



Ou bien le panneau oublié d’une autre fête récente ! Il a un air penché, non ?

























Sur la route on peut encore voir les marques du vide-grenier du mois dernier.


















Aux abords de la rue de l’enfer, des jeunes filles « squattent » les bancs de vignerons. Qu’y échangent-elles ? Leur journée au collège ou au lycée ? Leur BAC en cours ou leur brevet imminent ? Leurs amours heureuses ou déçues ? En tous cas, elles sont là, des heures durant, à se raconter leur vie. Plus tard, d’autres feront comme elles. Ils seront un peu plus vieux, feront tourner quelques canettes de bière et une ou 2 cigarettes en maudissant leurs parents, leur petit-frère qui leur pique leur MP3 ou qui monopolise la télé, leurs profs qui leur donnent encore des devoirs alors que l’année scolaire touche à sa fin. Ils se diront leur impatience de partir en vacances ou leur tristesse de ne pas voir leurs copains pendant tout l’été parce qu’ils vont voyager de grands-parents en grands-parents.


Un peu plus loin, le chemin des écoliers nous rappelle qu’il est le lieu favori des promeneurs de chiens, au grand dam de tous les autres qui doivent subir les déjections des chers toutous dont les maîtres n’ont pas encore compris l’usage des petits sacs plastiques à leur disposition aux deux extrémités du chemin. Alors, à force de voir son enfant zigzaguer avec son cartable à roulettes au milieu des cacas disgracieux, on finit par se fâcher et se lâcher par des petits mots bien sentis. Le chemin reste propre quelques jours. La pluie et le vent finissent par avoir raison du petit papier et le chemin redevient la « canicrotte » qu’il était. Un éternel recommencement que tous les villages connaissent.


Il est 18h, les derniers parents viennent rechercher leurs enfants au périscolaire. Rouges écarlate, ils entrent en courant dans la garderie, s’excusant, au choix, de la réunion qui a duré, des bouchons pour sortir de Strasbourg. Les enfants leur sautent dans les bras ou boudent parce qu’ils sont en retard et qu’ils vont rater leur série préférée qui commence à 18h ! Puis chacun rentre chez soi...


















C’est l’été aujourd’hui, le ciel est déjà redevenu gris mais qu’importe, les odeurs de barbecue flottent malgré tout dans l’air à cette heure. Un petit apéro en terrasse, des saucisses, une salade verte achetée au kiosque ou à la ferme et on se régale avant le prochain match. Russie-Pays De Galles, ça devrait au moins nous promettre de belles échauffourées entre supporters !

A 22h, la cloche d’argent résonnera dans sa tour de rempart. Les enfants dormiront. Les papas râleront devant le foot. Les mamans termineront la vaisselle (je sais, je fais dans le cliché là, mais franchement, qui va me dire que ce ne sera pas le cas dans la plupart des maisons??). On finira par se coucher. Pour entamer demain la chronique d’une nouvelle journée ordinaire …


dimanche 12 juin 2016

Panem et circenses - Les inondations à Wasselonne - 7 juin 2016

Panem et circenses
Du pain et des jeux…

Des jeux surtout en l’occurrence en ce moment. Deux jours que l’Euro de foot a commencé et on ne parle plus que de cela. Oubliés les grèves et les blocages, ou en tous cas, vus différemment. Il ne faut surtout pas bloquer l’Euro, surtout pas salir l’image de la France par nos grèves à répétition. Alors pendant un mois, on met tout sous le tapis. Ensuite, ce sera les vacances, peut-être que plus personne n’y pensera ! Pour peu que les français aillent loin dans la compétition et toute la France aura soudainement retrouvé son unité. On a ressorti les drapeaux, on est fier d’être français. On ne parle plus des basses polémiques de Benzema, aujourd’hui, l’Euro a démarré alors tout va bien.

On ne parle plus non plus des inondations d’ailleurs… Des inondations ? Où ça ? Oui, bon la Seine a débordé à Paris, ça a fait de jolies photos, on s’est fait un peu peur mais voilà, c’est fini.

Probablement que je n’y penserais pas moi-même si ça ne s’était pas passé à trois kilomètres de chez moi, si la petite ville que je traverse tous les jours, où je fais mes courses, où ma fille va au collège, où habitent plusieurs de mes amis, n’avait pas elle-même été touchée. Certainement que j’aurais tourné la page. J’ai vu les images du Loiret, de la région parisienne, du Nord. Je me suis dit « Les pauvres ! Ca doit être terrible ! » et je suis passée à autre chose.

Mais il n’y a pas eu que ça, il y a eu Wasselonne, Romanswiller et Crastatt et je me suis sentie concernée. Alors, bien sûr, j’ai eu besoin d’en parler, de vous expliquer.

Mardi 7 juin, j’ai quitté le collège de Wasselonne à 18h30 sous des trombes d’eau. Je suis rentrée chez moi tant bien que mal, en me disant qu’il y aurait encore des inondations ce soir-là. J’ai partagé mon avis sur facebook, suivi les réactions des amis. J’ai guidé par téléphone mon homme qui rentrait de Strasbourg : « Attention, ne passe pas là, coulée de boue. Non, là non plus, inondations… etc etc ». Et puis j’ai suivi les statuts, les commentaires, les images sur les réseaux sociaux. Plus la soirée passait, plus les images devenaient impressionnantes. A 21h30, j’ai vu des photos du centre de Wasselonne avec 1 mètre cinquante d’eau dans certaines rues.

On a continué comme ça à suivre en live sur les réseaux sociaux, à découvrir une à une les images de Wasselonne et de Romanswiller. Le lendemain matin, la question était de savoir si on pouvait accéder à Wasselonne. Oui, on pouvait, l’eau était repartie mais elle avait laissé derrière elle un spectacle de désolation. Toute une partie de la ville était inaccessible, les routes barrées, les pompiers partout. C’est étrange de prendre le même chemin que d’habitude et de le découvrir dévasté.

D’après des explications que j’ai pu lire ensuite, les quantités incroyables d’eau qui sont tombées ont gonflé des petits ruisseaux dont une partie est souterraine. Sauf que, ce qui est souterrain n’a pas tenu le choc et l’eau est ressortie partout, transformant plusieurs rues en torrent. La première partie du village a été touchée. Puis l’eau est restée coincée dans un carrefour en montée et s’est accumulée là, augmentant la pression. Ca a quand même permis à la municipalité d’alerter les habitants de la rue d’après. Ils ont juste eu le temps d’aller garer leurs voitures un peu plus loin et de monter quelques meubles avant que « la vague » n’arrive. « La vague », c’est comme ça qu’ils disaient tous en décrivant ce qu’ils avaient vus.

Une fois l’eau retirée, ne restait que la boue. Des quantités hallucinantes de boue qui entourait les meubles, salissait les murs, gondolait les meubles. Ils ont aussi parlé d’une insupportable odeur de fuel, probablement due à des cuves renversées dans les caves inondées.

Les téléphones portables ont photographié, les caméras ont filmé. Les chaînes nationales ont diffusé les images du sauvetage d’une dame que toute la France a vue, tirée au bout d’une corde par une dizaine de gars essayant de lutter contre le courant. Elle s’en est bien sortie, comme tous les autres. Wasselonne a eu « la chance » que ça se passe en début de soirée. On n’ose imaginer ce qu’aurait donné la même vague au beau milieu de la nuit.

Pas de victime donc mais des dégâts à n’en plus finir : des rues littéralement défoncées, le macadam pulvérisé, des voitures emportées, encastrées l’une dans l’autre, des habitations totalement ou partiellement détruites selon leur localisation. Le coût des réparations va être colossal.

En tous cas, ces événements ont eu le mérite de montrer ce qu’était la solidarité. Spontanément, des inconnus se sont présentés pour aider, pour donner un coup de main à vider les maisons, jeter les meubles abîmés, racler et encore racler la boue. La mairie a reçu des quantités d’appels pour proposer des dons ou de l’aide. Les associations se sont mobilisées : scouts, églises, croix-rouge tout le monde était sur le pont dès mercredi matin. Des commerçants ont improvisé un barbecue au milieu d’un parking pour les sinistrés et les bénévoles, ou ont gratuitement mis à disposition des machines à laver. C’est assez surprenant de voir des gens qui ne se connaissent pas s’entraider et échanger. Les sinistrés disaient par exemple qu’ils n’avaient jamais autant discuté avec leurs voisins. Ils les avaient presque rencontrés, découverts sous un nouveau jour.

Les réseaux sociaux ont également retrouvé le sens du mot « social », des centaines de messages ont déferlé sur les pages locales, des groupes se sont créés pour collecter les dons. Chaque demande reçoit des dizaines de réponses. Des vêtements, des frigos, de la vaisselle, beaucoup ont vidé leurs greniers, leurs placards, leurs armoires, pour partager avec les plus touchés.

Je dresse ici un portrait trop idéal me direz-vous. C’est vrai que tout n’est pas si beau. J’ai aussi entendu des chamailleries entre voisins. J’ai vu sur facebook des demandes de dons et juste en dessous des propositions de vente. Et ce qui agaçait aussi fortement les sinistrés, c’étaient les curieux. On a tous envie, ou besoin je ne sais pas trop, de voir mais où est la limite entre le voyeurisme et la simple curiosité ? Elle est fragile et certains la franchissaient allègrement et parfois même sans aucun scrupule. Le summum que j’ai pu voir a quand même été ce monsieur, immatriculé dans un département voisin, qui s’arrête auprès d’une maison sinistrée et lance aux propriétaires « Vous avez été sacrément touchés hein ? ». Puis désignant l’enfant assis à côté de lui, il ajoute avec naturel « Le gamin, il voulait voir hein, alors on fait un tour » et il repart en souriant. Que répondre à cela ?

Voilà, j’ai moi aussi fait le tour je crois. Il n’y a ici que ma vision de spectatrice de ces événements. Je ne prétends pas partager le ressenti des victimes, c’est totalement impossible. Tandis que je suis tranquillement assise dans mon canapé, certains tentent de réaménager leur premier étage avec ce qui a pu être sauvé pour essayer de vivre à peu prés normalement en attendant que le rez-de chaussée soit réparé. D’autres n’ont plus rien du tout et sont sûrement logés à droite ou à gauche. D’autres, épuisés, sont peut-être encore en train d’enlever la boue qui s’est incrustée dans chaque recoin de leurs logements. D’autres encore démontent les meubles tout neufs qu’ils venaient d’installer.

J’ai raconté Wasselonne parce que c’est ce que j’ai vu mais beaucoup de villes et villages ont connu cette situation ces derniers jours. Beaucoup un peu partout en France regarderont l’Euro chez des amis, dans la famille, ou dans un petit coin du premier étage qui n’a pas été inondé.


J’ai évoqué l’Euro, les inondations et la solidarité en vrac dans ce texte. Pour finir j’ai envie de les réunir. Si les français gagnent l’Euro, ils toucheront chacun 300 000€. Si on multiplie par 30 joueurs sélectionnés, ça fait 9 millions d’euros. Admettons qu’il y ait 3000 sinistrés suite aux inondations de ces 3 dernières semaines, je vous laisse faire le calcul ? OK, je vous aide, ça fait 3000€ par famille. Ca pourrait être ça la solidarité, non ? Et là, on pourrait d’autant plus être « Fiers d’être bleus ».