Panem et circenses
Du pain et des jeux…
Des jeux surtout en
l’occurrence en ce moment. Deux jours que l’Euro de foot a
commencé et on ne parle plus que de cela. Oubliés les grèves et
les blocages, ou en tous cas, vus différemment. Il ne faut surtout
pas bloquer l’Euro, surtout pas salir l’image de la France par
nos grèves à répétition. Alors pendant un mois, on met tout sous
le tapis. Ensuite, ce sera les vacances, peut-être que plus personne
n’y pensera ! Pour peu que les français aillent loin dans la
compétition et toute la France aura soudainement retrouvé son
unité. On a ressorti les drapeaux, on est fier d’être français.
On ne parle plus des basses polémiques de Benzema, aujourd’hui,
l’Euro a démarré alors tout va bien.
On ne parle plus non
plus des inondations d’ailleurs… Des inondations ? Où ça ?
Oui, bon la Seine a débordé à Paris, ça a fait de jolies photos,
on s’est fait un peu peur mais voilà, c’est fini.
Probablement que je
n’y penserais pas moi-même si ça ne s’était pas passé à
trois kilomètres de chez moi, si la petite ville que je traverse
tous les jours, où je fais mes courses, où ma fille va au collège,
où habitent plusieurs de mes amis, n’avait pas elle-même été
touchée. Certainement que j’aurais tourné la page. J’ai vu les
images du Loiret, de la région parisienne, du Nord. Je me suis dit
« Les pauvres ! Ca doit être terrible ! » et
je suis passée à autre chose.
Mais il n’y a pas
eu que ça, il y a eu Wasselonne, Romanswiller et Crastatt et je me
suis sentie concernée. Alors, bien sûr, j’ai eu besoin d’en
parler, de vous expliquer.
Mardi 7 juin, j’ai
quitté le collège de Wasselonne à 18h30 sous des trombes d’eau.
Je suis rentrée chez moi tant bien que mal, en me disant qu’il y
aurait encore des inondations ce soir-là. J’ai partagé mon avis
sur facebook, suivi les réactions des amis. J’ai guidé par
téléphone mon homme qui rentrait de Strasbourg : « Attention,
ne passe pas là, coulée de boue. Non, là non plus, inondations…
etc etc ». Et puis j’ai suivi les statuts, les commentaires,
les images sur les réseaux sociaux. Plus la soirée passait, plus
les images devenaient impressionnantes. A 21h30, j’ai vu des photos
du centre de Wasselonne avec 1 mètre cinquante d’eau dans
certaines rues.
On a continué comme
ça à suivre en live sur les réseaux sociaux, à découvrir une à
une les images de Wasselonne et de Romanswiller. Le lendemain matin,
la question était de savoir si on pouvait accéder à Wasselonne.
Oui, on pouvait, l’eau était repartie mais elle avait laissé
derrière elle un spectacle de désolation. Toute une partie de la
ville était inaccessible, les routes barrées, les pompiers partout.
C’est étrange de prendre le même chemin que d’habitude et de le
découvrir dévasté.
D’après des
explications que j’ai pu lire ensuite, les quantités incroyables
d’eau qui sont tombées ont gonflé des petits ruisseaux dont une
partie est souterraine. Sauf que, ce qui est souterrain n’a pas
tenu le choc et l’eau est ressortie partout, transformant plusieurs
rues en torrent. La première partie du village a été touchée.
Puis l’eau est restée coincée dans un carrefour en montée et
s’est accumulée là, augmentant la pression. Ca a quand même
permis à la municipalité d’alerter les habitants de la rue
d’après. Ils ont juste eu le temps d’aller garer leurs voitures
un peu plus loin et de monter quelques meubles avant que « la
vague » n’arrive. « La vague », c’est comme ça
qu’ils disaient tous en décrivant ce qu’ils avaient vus.
Une fois l’eau
retirée, ne restait que la boue. Des quantités hallucinantes de
boue qui entourait les meubles, salissait les murs, gondolait les
meubles. Ils ont aussi parlé d’une insupportable odeur de fuel,
probablement due à des cuves renversées dans les caves inondées.
Les téléphones
portables ont photographié, les caméras ont filmé. Les chaînes
nationales ont diffusé les images du sauvetage d’une dame que
toute la France a vue, tirée au bout d’une corde par une dizaine
de gars essayant de lutter contre le courant. Elle s’en est bien
sortie, comme tous les autres. Wasselonne a eu « la chance »
que ça se passe en début de soirée. On n’ose imaginer ce
qu’aurait donné la même vague au beau milieu de la nuit.
Pas de victime donc
mais des dégâts à n’en plus finir : des rues littéralement
défoncées, le macadam pulvérisé, des voitures emportées,
encastrées l’une dans l’autre, des habitations totalement ou
partiellement détruites selon leur localisation. Le coût des
réparations va être colossal.
En tous cas, ces
événements ont eu le mérite de montrer ce qu’était la
solidarité. Spontanément, des inconnus se sont présentés pour
aider, pour donner un coup de main à vider les maisons, jeter les
meubles abîmés, racler et encore racler la boue. La mairie a reçu
des quantités d’appels pour proposer des dons ou de l’aide. Les
associations se sont mobilisées : scouts, églises, croix-rouge
tout le monde était sur le pont dès mercredi matin. Des commerçants
ont improvisé un barbecue au milieu d’un parking pour les
sinistrés et les bénévoles, ou ont gratuitement mis à disposition
des machines à laver. C’est assez surprenant de voir des gens qui
ne se connaissent pas s’entraider et échanger. Les sinistrés
disaient par exemple qu’ils n’avaient jamais autant discuté avec
leurs voisins. Ils les avaient presque rencontrés, découverts sous
un nouveau jour.
Les réseaux sociaux
ont également retrouvé le sens du mot « social », des
centaines de messages ont déferlé sur les pages locales, des
groupes se sont créés pour collecter les dons. Chaque demande
reçoit des dizaines de réponses. Des vêtements, des frigos, de la
vaisselle, beaucoup ont vidé leurs greniers, leurs placards, leurs
armoires, pour partager avec les plus touchés.
Je dresse ici un
portrait trop idéal me direz-vous. C’est vrai que tout n’est pas
si beau. J’ai aussi entendu des chamailleries entre voisins. J’ai
vu sur facebook des demandes de dons et juste en dessous des
propositions de vente. Et ce qui agaçait aussi fortement les
sinistrés, c’étaient les curieux. On a tous envie, ou besoin je
ne sais pas trop, de voir mais où est la limite entre le voyeurisme
et la simple curiosité ? Elle est fragile et certains la
franchissaient allègrement et parfois même sans aucun scrupule. Le
summum que j’ai pu voir a quand même été ce monsieur,
immatriculé dans un département voisin, qui s’arrête auprès
d’une maison sinistrée et lance aux propriétaires « Vous
avez été sacrément touchés hein ? ». Puis désignant
l’enfant assis à côté de lui, il ajoute avec naturel « Le
gamin, il voulait voir hein, alors on fait un tour » et il
repart en souriant. Que répondre à cela ?
Voilà, j’ai moi
aussi fait le tour je crois. Il n’y a ici que ma vision de
spectatrice de ces événements. Je ne prétends pas partager le
ressenti des victimes, c’est totalement impossible. Tandis que je
suis tranquillement assise dans mon canapé, certains tentent de
réaménager leur premier étage avec ce qui a pu être sauvé pour
essayer de vivre à peu prés normalement en attendant que le rez-de
chaussée soit réparé. D’autres n’ont plus rien du tout et sont
sûrement logés à droite ou à gauche. D’autres, épuisés, sont
peut-être encore en train d’enlever la boue qui s’est incrustée
dans chaque recoin de leurs logements. D’autres encore démontent
les meubles tout neufs qu’ils venaient d’installer.
J’ai raconté
Wasselonne parce que c’est ce que j’ai vu mais beaucoup de villes
et villages ont connu cette situation ces derniers jours. Beaucoup un
peu partout en France regarderont l’Euro chez des amis, dans la
famille, ou dans un petit coin du premier étage qui n’a pas été
inondé.
J’ai évoqué
l’Euro, les inondations et la solidarité en vrac dans ce texte.
Pour finir j’ai envie de les réunir. Si les français gagnent
l’Euro, ils toucheront chacun 300 000€. Si on multiplie par 30
joueurs sélectionnés, ça fait 9 millions d’euros. Admettons
qu’il y ait 3000 sinistrés suite aux inondations de ces 3
dernières semaines, je vous laisse faire le calcul ? OK, je
vous aide, ça fait 3000€ par famille. Ca pourrait être ça la
solidarité, non ? Et là, on pourrait d’autant plus être
« Fiers d’être bleus ».
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