dimanche 12 juin 2016

Panem et circenses - Les inondations à Wasselonne - 7 juin 2016

Panem et circenses
Du pain et des jeux…

Des jeux surtout en l’occurrence en ce moment. Deux jours que l’Euro de foot a commencé et on ne parle plus que de cela. Oubliés les grèves et les blocages, ou en tous cas, vus différemment. Il ne faut surtout pas bloquer l’Euro, surtout pas salir l’image de la France par nos grèves à répétition. Alors pendant un mois, on met tout sous le tapis. Ensuite, ce sera les vacances, peut-être que plus personne n’y pensera ! Pour peu que les français aillent loin dans la compétition et toute la France aura soudainement retrouvé son unité. On a ressorti les drapeaux, on est fier d’être français. On ne parle plus des basses polémiques de Benzema, aujourd’hui, l’Euro a démarré alors tout va bien.

On ne parle plus non plus des inondations d’ailleurs… Des inondations ? Où ça ? Oui, bon la Seine a débordé à Paris, ça a fait de jolies photos, on s’est fait un peu peur mais voilà, c’est fini.

Probablement que je n’y penserais pas moi-même si ça ne s’était pas passé à trois kilomètres de chez moi, si la petite ville que je traverse tous les jours, où je fais mes courses, où ma fille va au collège, où habitent plusieurs de mes amis, n’avait pas elle-même été touchée. Certainement que j’aurais tourné la page. J’ai vu les images du Loiret, de la région parisienne, du Nord. Je me suis dit « Les pauvres ! Ca doit être terrible ! » et je suis passée à autre chose.

Mais il n’y a pas eu que ça, il y a eu Wasselonne, Romanswiller et Crastatt et je me suis sentie concernée. Alors, bien sûr, j’ai eu besoin d’en parler, de vous expliquer.

Mardi 7 juin, j’ai quitté le collège de Wasselonne à 18h30 sous des trombes d’eau. Je suis rentrée chez moi tant bien que mal, en me disant qu’il y aurait encore des inondations ce soir-là. J’ai partagé mon avis sur facebook, suivi les réactions des amis. J’ai guidé par téléphone mon homme qui rentrait de Strasbourg : « Attention, ne passe pas là, coulée de boue. Non, là non plus, inondations… etc etc ». Et puis j’ai suivi les statuts, les commentaires, les images sur les réseaux sociaux. Plus la soirée passait, plus les images devenaient impressionnantes. A 21h30, j’ai vu des photos du centre de Wasselonne avec 1 mètre cinquante d’eau dans certaines rues.

On a continué comme ça à suivre en live sur les réseaux sociaux, à découvrir une à une les images de Wasselonne et de Romanswiller. Le lendemain matin, la question était de savoir si on pouvait accéder à Wasselonne. Oui, on pouvait, l’eau était repartie mais elle avait laissé derrière elle un spectacle de désolation. Toute une partie de la ville était inaccessible, les routes barrées, les pompiers partout. C’est étrange de prendre le même chemin que d’habitude et de le découvrir dévasté.

D’après des explications que j’ai pu lire ensuite, les quantités incroyables d’eau qui sont tombées ont gonflé des petits ruisseaux dont une partie est souterraine. Sauf que, ce qui est souterrain n’a pas tenu le choc et l’eau est ressortie partout, transformant plusieurs rues en torrent. La première partie du village a été touchée. Puis l’eau est restée coincée dans un carrefour en montée et s’est accumulée là, augmentant la pression. Ca a quand même permis à la municipalité d’alerter les habitants de la rue d’après. Ils ont juste eu le temps d’aller garer leurs voitures un peu plus loin et de monter quelques meubles avant que « la vague » n’arrive. « La vague », c’est comme ça qu’ils disaient tous en décrivant ce qu’ils avaient vus.

Une fois l’eau retirée, ne restait que la boue. Des quantités hallucinantes de boue qui entourait les meubles, salissait les murs, gondolait les meubles. Ils ont aussi parlé d’une insupportable odeur de fuel, probablement due à des cuves renversées dans les caves inondées.

Les téléphones portables ont photographié, les caméras ont filmé. Les chaînes nationales ont diffusé les images du sauvetage d’une dame que toute la France a vue, tirée au bout d’une corde par une dizaine de gars essayant de lutter contre le courant. Elle s’en est bien sortie, comme tous les autres. Wasselonne a eu « la chance » que ça se passe en début de soirée. On n’ose imaginer ce qu’aurait donné la même vague au beau milieu de la nuit.

Pas de victime donc mais des dégâts à n’en plus finir : des rues littéralement défoncées, le macadam pulvérisé, des voitures emportées, encastrées l’une dans l’autre, des habitations totalement ou partiellement détruites selon leur localisation. Le coût des réparations va être colossal.

En tous cas, ces événements ont eu le mérite de montrer ce qu’était la solidarité. Spontanément, des inconnus se sont présentés pour aider, pour donner un coup de main à vider les maisons, jeter les meubles abîmés, racler et encore racler la boue. La mairie a reçu des quantités d’appels pour proposer des dons ou de l’aide. Les associations se sont mobilisées : scouts, églises, croix-rouge tout le monde était sur le pont dès mercredi matin. Des commerçants ont improvisé un barbecue au milieu d’un parking pour les sinistrés et les bénévoles, ou ont gratuitement mis à disposition des machines à laver. C’est assez surprenant de voir des gens qui ne se connaissent pas s’entraider et échanger. Les sinistrés disaient par exemple qu’ils n’avaient jamais autant discuté avec leurs voisins. Ils les avaient presque rencontrés, découverts sous un nouveau jour.

Les réseaux sociaux ont également retrouvé le sens du mot « social », des centaines de messages ont déferlé sur les pages locales, des groupes se sont créés pour collecter les dons. Chaque demande reçoit des dizaines de réponses. Des vêtements, des frigos, de la vaisselle, beaucoup ont vidé leurs greniers, leurs placards, leurs armoires, pour partager avec les plus touchés.

Je dresse ici un portrait trop idéal me direz-vous. C’est vrai que tout n’est pas si beau. J’ai aussi entendu des chamailleries entre voisins. J’ai vu sur facebook des demandes de dons et juste en dessous des propositions de vente. Et ce qui agaçait aussi fortement les sinistrés, c’étaient les curieux. On a tous envie, ou besoin je ne sais pas trop, de voir mais où est la limite entre le voyeurisme et la simple curiosité ? Elle est fragile et certains la franchissaient allègrement et parfois même sans aucun scrupule. Le summum que j’ai pu voir a quand même été ce monsieur, immatriculé dans un département voisin, qui s’arrête auprès d’une maison sinistrée et lance aux propriétaires « Vous avez été sacrément touchés hein ? ». Puis désignant l’enfant assis à côté de lui, il ajoute avec naturel « Le gamin, il voulait voir hein, alors on fait un tour » et il repart en souriant. Que répondre à cela ?

Voilà, j’ai moi aussi fait le tour je crois. Il n’y a ici que ma vision de spectatrice de ces événements. Je ne prétends pas partager le ressenti des victimes, c’est totalement impossible. Tandis que je suis tranquillement assise dans mon canapé, certains tentent de réaménager leur premier étage avec ce qui a pu être sauvé pour essayer de vivre à peu prés normalement en attendant que le rez-de chaussée soit réparé. D’autres n’ont plus rien du tout et sont sûrement logés à droite ou à gauche. D’autres, épuisés, sont peut-être encore en train d’enlever la boue qui s’est incrustée dans chaque recoin de leurs logements. D’autres encore démontent les meubles tout neufs qu’ils venaient d’installer.

J’ai raconté Wasselonne parce que c’est ce que j’ai vu mais beaucoup de villes et villages ont connu cette situation ces derniers jours. Beaucoup un peu partout en France regarderont l’Euro chez des amis, dans la famille, ou dans un petit coin du premier étage qui n’a pas été inondé.


J’ai évoqué l’Euro, les inondations et la solidarité en vrac dans ce texte. Pour finir j’ai envie de les réunir. Si les français gagnent l’Euro, ils toucheront chacun 300 000€. Si on multiplie par 30 joueurs sélectionnés, ça fait 9 millions d’euros. Admettons qu’il y ait 3000 sinistrés suite aux inondations de ces 3 dernières semaines, je vous laisse faire le calcul ? OK, je vous aide, ça fait 3000€ par famille. Ca pourrait être ça la solidarité, non ? Et là, on pourrait d’autant plus être « Fiers d’être bleus ».  

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