J’ai fait un rêve cette nuit.
Dans ce rêve, Adèle Haenel et Lambert Wilson étaient assis
autour d’un café. Ils discutaient calmement. Elle lui expliquait ce qu’elle
avait vécu, sa douleur, son ressenti, ses angoisses. Il lui disait pourquoi il
avait si peur d’entendre sa parole, pourquoi il était difficile pour lui d’appréhender
le monde à travers ses yeux à elle, comment c’était avant.
Dans ce rêve, autour de la table d’Adèle et Lambert, d’autres
tables apparaissaient. Puis d’autres, et d’autres encore. On buvait un verre, on papotait, on discutait,
on échangeait, on riait, on donnait son point de vue et on écoutait avec
attention celui de son voisin, en hochant la tête de temps en temps, car on
comprenait, même si on n’était pas d’accord.
Et puis je me suis réveillée.
Faut fermer les écoles. Faut annuler les matchs de foot.
C’est rien du tout franchement. Quelle salope Adèle Haenel. Elle se prend pour
qui ? Ils vont arrêter avec leur pseudo maladie ! On n’est plus en
démocratie. La grippe, eh ben, elle tue 10000 personnes chaque année, mais tout
le monde s’en fout. C’est la faute à Macron de toute façon. Elle était nulle
comme ministre de la santé. Chômage partiel. Elle a déserté. Il a rien fait. Beigbeder
est à côté de la plaque. Foresti est répugnante. C’est une honte. Faut fermer
les frontières. Comme par hasard, en Russie y a pas de cas. Dictature. Les
médias en font trop. Pas encore là le dernier bilan ? Qui c’est qui va
garder nos enfants ? N’importe quoi les gens ! C’est tellement débile
de faire des stocks. On va tous mourir. Les enfants sont pas touchés, ils
peuvent aller à l’école. Fermeture d’entreprises. De toute façon, ça tue que
quelques vieux qui étaient déjà malades. Ils seraient sûrement morts, même sans
ça. En Italie, ils ont tout fermé. Donnez-nous des masques. Les masques, ça
sert à rien. Alors moi, j’ai connu quelqu’un qui… Par rapport à la grippe…. Si
tu multiplies le taux de contagion par le nombre de cas non détectés et que tu
le divises pas le tiers du quart du pourcentage de grippés entre 2012 et 2017
et ben … En France on fait pas de tests. Bilan. Morts. Psychose. Nouveaux cas.
Clusters. Complot. Trump a dit que le
virus s’éteindrait tout seul au printemps. Chute de la bourse.
STOOOOOOP
J’en peux plus. Je ne veux plus rien lire, je ne veux plus
rien entendre. Sur aucun sujet …
La seule chose qui
semble unanime, c’est la certitude d’avoir raison.
JE sais. MON avis est unique et meilleur. Il vaut d’être
donné, entendu, partagé. Ce que MOI et mon groupe pensons, est ce qui est
juste.
Et ce que l’autre pense est forcément faux.
Pas de nuance possible.
Pas d’échange possible.
Pas de dialogue possible.
Pas d’argumentation.
Juste des mots énoncés comme des faits indiscutables.
STOOOOP
Personnellement, je ne sais rien de ce qui se passe aujourd’hui.
Je n’y comprends rien. Rien à rien. Je n’ai pas d’avis à
donner sur l’extension du virus, sur sa dangerosité, sur la meilleure
organisation à adopter pour lutter contre lui, sur l’intérêt d’en parler en boucle
ou pas.
Je n’ai aucune compétence sur le sujet.
Juste des questions sans réponse. Des tas de questions sans
réponse.
Et peut-être, peut-être aussi, quelques petites questions
auxquelles on pourrait répondre, à notre niveau. Alors que le Haut Rhin est en
phase de veille et que le Bas Rhin suivra peut-être, pourrait-on tenter
quelques réponses à quelques questions ?
Toi, toi là, toi mon voisin, toi la personne qui habites au
bout de la rue, à l’étage au-dessus, dans l’immeuble à côté ? De quoi
as-tu besoin ? Et toi, que peux-tu apporter ? Tu veux que je m’en
occupe ? Tu veux que je sorte ton chien ? Tu veux que je vérifie
comment va cette mamie ? Tu peux faire quelques courses pour lui ? Ce
lycéen qui n’a pas cours là, il ne pourrait pas garder ces petits pendant que
les parents travaillent ? Elle pourrait t’aider pour réviser. Il pourrait
nourrir ton chat. Ils pourraient travailler à plusieurs. On pourrait s’appeler.
On pourrait boire un verre, on pourrait papoter, discuter, échanger, on pourrait
rire, on pourrait donner notre point de vue et écouter avec attention celui de notre
voisin, en hochant la tête de temps en temps, car on comprend, même si on n’est
pas d’accord.
On pourrait rêver…