jeudi 15 décembre 2016

Un enfant de cinq ans ne devrait pas mourir sur une route

La grisaille est encore restée plaquée au sol aujourd’hui. Comment aurait-il pu en être autrement ? Le soleil et le ciel bleu, s’ils s’étaient montrés, auraient été indécents.
Qui ce matin n’a pas eu cette appréhension en prenant la route, cette boule au ventre, cette crispation de lendemain de drame ? Cette crainte de passer sur cette route empruntée quotidiennement mais qu’on ne pouvait que voir autrement aujourd’hui. Elle a tué hier, elle a tué des innocents, trop d’innocents. Des petites êtres qui auraient dû grandir encore et profiter de cette vie qu’on leur a fauché. Comment ne pas penser à ces mères de famille, ne pas faire le parallèle avec nos propres vies ? Ces mères de famille qui, en ce mercredi après-midi étaient sur la route avec leurs enfants, les emmenaient à la danse, à la gym ou chez l’orthophoniste ? Allaient voir leur grand-mère ou chercher les derniers cadeaux de Noël ? Comment ne pas penser à ces pères appelés au travail pour entendre l’indicible, l’insupportable.
Je ne sais pas ce qui s’est passé hier mais je sais ce qui se passe tous les jours. Je sais le téléphone portable regardé à la dérobée, parce qu’on a le temps, parce qu’il n’y a personne en face, parce qu’on maîtrise. Le téléphone décroché parce que c’est urgent, important, parce qu’on est en retard, parce qu’on maîtrise. La limitation de vitesse légèrement dépassée parce qu’on est pressé, parce qu’il est trop lent, parce qu’on maîtrise. La voiture doublée à l’arrache. Le tracteur doublé sans visibilité. La ligne blanche dépassée parce que c’est pas si dangereux. La limitation de vitesse largement dépassée parce qu’on aime aller vite. Les distances de sécurité pas respectées parce que ça sert à rien. Les incivilités, les priorités non laissées, les passages forcés parce qu’on est les plus forts, les rois de la route. Les vitesses non diminuées par temps de brouillard, de pluie ou de verglas.

Je pourrais continuer comme ça longtemps. On l’a tous fait, on a tous croisé ceux qui le font. On a tous eu peur mais ça n’arrive qu’aux autres, non ? Qu’avons nous à gagner à garder ces comportements indignes ? Pourquoi derrière un volant devient-on inconscients des dangers ? Pourquoi faut-il aller toujours plus vite ? Pour arriver une minute plus tôt ?

La vie est trop belle, trop précieuse. Elle sait réserver des destins funestes, il est inutile de l’y aider. Ces enfants ne méritaient pas ça. Ils ne méritaient pas que notre inconscience collective leur fasse subir cela. Essayons de penser à eux à chaque fois que nous viendra l’idée de dépasser, décrocher, accélérer, coller. Rappelons nous ces familles brisées et remettons les choses en perspective. Relativisons, freinons, laissons sonner, éloignons-nous, restons derrière.  

samedi 12 novembre 2016

Radios libres ?



Vous êtes vous déjà réveillé un matin, bien avant le réveil, en fredonnant un air qui vous horripile ? Avez-vous déjà eu en tête une de ces chansons, au demeurant extrêmement bien foutues car elles vous harcèlent toute une journée ? Ce genre de chanson dont il suffit d’entendre une note pour la chanter toute la journée ? Le générique de la Reine des Neiges est de celles-là. La preuve, ça y est, elle est en vous pour tout le samedi. Vous me maudirez jusqu’à ce soir quand vous vous surprendrez à fredonner « Libérée, délivrée ».
Il parait qu’une chanson qui reste en tête est une chanson réussie. Peut-être. Mais je crois aussi que le matraquage, le harcèlement que nous font les radios avec certaines musiques contribuent largement à les rendre entêtantes.
J’écoute la radio moins d’une heure par jour. Le temps de mon trajet quotidien en voiture. De cette petite heure, il faut enlever environ 20 minutes où je zappe sur une radio d’informations pour écouter les nouvelles. Enlevez aussi les pages de pub et il y en a toutes les 10 minutes à ces heures de grande écoute, ainsi que les bla-blas des animateurs et les jeux. Il ne reste plus beaucoup de temps pour de la musique, disons une petite demi-heure.
Eh bien pendant ces 30 minutes, j’entends systématiquement les mêmes chansons. Je jongle entre 2 radios et de l’une à l’autre, pas de différence. Pourtant il y a une locale et une nationale. De manière presque automatique, tous les jours, je retrouve Julien Doré, Les Frero delavega, Claudio Capeo, Boulevard des airs. Amir est un peu dépassé mais a longtemps été de ceux-là. Et puis quelques autres qui défilent mais dont je n’ai pas retenu les noms. On les entend, on les entend, on les entend jusqu’à l’overdose. Jusqu’à nous en écoeurer et nous les rendre insupportables si tant est qu’on avait pu les apprécier aux premières écoutes. Qui n’a pas eu envie de hurler et-ou de faire taire sa radio en entendant le p**** d’éléphant des Frero ? Qui n’a pas eu envie de bannir Bruxelles de ses destinations de voyage éventuelles ? A la limite, Claudio Capeo nous ferait presque avoir envie de gifler le premier SDF qu’on croise, juste parce qu’il a pu contribuer à lui inspirer ses insupportables airs (NB : ceci est bien sûr à prendre au 2è voire au 3è degré, je préfère préciser au cas où. Mon humour n’est pas toujours très clair J ).
Il y a quelques mois, les mêmes radios nous faisaient toutes des messages outrés sur les réseaux sociaux. Une loi allait passer qui les obligerait à diffuser un certain quota de chansons françaises ou quelque chose dans le genre. Levée de boucliers ! O scandale ! L’appareil législatif allait obliger les radios INDEPENDANTES et LIBRES  à diffuser certaines chansons. Le projet de loi a du passer aux oubliettes car on n’en a plus entendu parler mais quoiqu’il en soit, j’avais une légère impression de foutage de gueule à ce moment-là. Ces radios qui diffusent 20 fois par jour les mêmes titres allaient nous faire croire qu’elles le faisaient par goût ? Elles aiment tellement ces titres qu’elles n’ont envie de diffuser que ceux-là ? Une radio locale ne pourrait-elle pas s’ouvrir à des groupes locaux (elles me répondront qu’elles le font. Ok, j’admets, entre 23h et minuit le mardi !). Le nombre de titres existants dans le monde est tellement vaste que j’ai du mal à comprendre qu’on nous en passe dix en boucle. Je ne sais pas comment fonctionne le monde de la radio. J’imagine que derrière tout cela se cachent quelques histoires pécuniaires ?? Peut-être que je me trompe ? Peut-être que vraiment tous les animateurs de toutes les radios aiment les mêmes musiques au même moment ? Peut-être … Mais j’ai du mal à y croire, et j’ai eu du mal à croire à ces discours de radios libres et indépendantes …
Vous allez me dire « Arrête de ronchonner et écoute autre chose ». C’est vrai, je pourrais. Mais c’est bien la radio. Pendant les périodes de vacances scolaires, il n’y a quasi que de la musique pendant mes heures de circulation et là, comme l’audience doit être plus faible, on évite ce matraquage et c’est vachement agréable. On découvre des nouveaux titres, on retrouve des anciens. Et puis, j’avais envie de le dire tout simplement. Parce que, deux heures à tourner dans mon lit avec les éléphants des Frero qui marchaient dans ma chambre, de leur pas lourd et répétitif, c’était au dessus de mes forces.

mercredi 9 novembre 2016

Donald Président !



Nous sommes tous aujourd’hui, moi la première, surpris, choqués, consternés, atterrés. Les ricains sont fous. Comment ont-ils pu élire ce dingue ? Ce macho raciste, sexiste, milliardaire, star de la téléréalité ?
D’autres questions me traversent aussi l’esprit.

1-      Est-ce vraiment une surprise ?

Si les Clinton et consorts n’étaient pas ce qu’ils sont, Trump serait-il arrivé là où il est ? Les citoyens américains n’ont-ils pas voulu faire un gros fuck à la politique politicienne et à ses représentants ?  Ce gars arrive en disant ce que le peuple veut entendre, il fustige la classe politique traditionnelle, n’a rien à voir avec eux ni de près ni de loin (ou en tous cas, se revendique comme tel), il y avait de fortes chances qu’il passe.

2-      « En France, on ne ferait jamais ça ». Vraiment ?

Oublions un moment le côté téléréalité de ce cher Donald Duck. Euh, Donald Trump, pardon. C’est un style purement américain qui nous échappe complètement. Trump c’est la version XXL du populiste.
Prenons en un plus soft, une version européenne plus politiquement correcte et moins vulgaire. Imaginons qu’il commence à faire les mêmes promesses. Il va réinstaurer les frontières. Il va construire un mur anti-migrants partout où ce sera nécessaire (pas facile parce que la France a beaucoup de frontières mais c’est pas grave, il peut le faire). Il va renvoyer chez eux les étrangers qui volent les ressources des honnêtes citoyens. Il va baisser les impôts des classes basses et moyennes et augmenter ceux des plus riches (Lui-même est un riche ? Chut, chut, c’est pas le moment d’en parler, fermons les yeux sur ce détail insignifiant). Il va lutter contre le monde de la finance (celui-là même grâce auquel il s’est enrichi ? J’ai dit chut ! Ca suffit maintenant.). Il va s’opposer aux multinationales, taxer les produits d’importation et privilégier le made in France. Au passage, il fustige la gauche et la droite traditionnelles et dénonce sans vergogne les scandales de leurs membres les plus éminents.Il… 
Non, je vais m’arrêter là en fait. Je crois que c’est suffisant.
Mettez ce personnage là, maintenant, sur la scène politique française. Que se passera-t-il en 2017 ? Ne pourrait-il pas être élu lui aussi ?

3-      Quel sera l’avenir du monde avec un Donald aux commandes du plus puissant pays de la planète ?

Je vois 3 options possibles :

-         Il met en œuvre sa politique et tout se casse la gueule. L’économie s’effondre. La pollution gagne du terrain. New York, Los Angeles et Chicago se transforment en Pékin malgré les protestations véhémentes de Léonardo qui, entre temps, s’est installé en Suède. La moitié de la population qui ne voulait pas de Trump descend dans la rue et les émeutes se multiplient. Le pays implose, entraînant le reste du monde dans sa chute.  

-         Il met en œuvre sa politique et rien ne se passe. Les Etats-Unis font leur bonhomme de chemin, tranquilles dans leur isolationnisme et le reste du monde ne s’en porte pas plus mal. 

-         Il poursuit sur la lancée de son premier discours en tant que President Of The United States Of America et devient comme tous ceux qu’il fustigeait et haïssait jusqu’à hier. Quelques (gros) pots de vin et le voilà officiellement à la botte du lobby des armes, du pétrole, de l’agro-alimentaire, des industries pharmaceutiques et de tout le reste. La vie reprend son cours. Il annule quand même le Obamacare, histoire de paraître encore un peu crédible (et puis, faut dire que cette réforme embêtait certains de ses nouveaux amis). Il poursuit les accords commerciaux avec le Mexique, fait le forcing sur l’Europe pour signer le TAFTA, gronde un peu Poutine parce que quand même, c’est pas beau ce qu’il fait en Syrie puis lui tape sur l’épaule hors caméra. Il applaudit des deux mains les accords de la COP23, prend Léo dans ses bras à cette occasion en s’excusant auprès de lui. Il va les fermer bientôt les centrales à charbon, promis. Le gaz de schiste, il sait que c’est dangereux mais il fait juste quelques tests pour voir. Juré, après il arrête. Bref, il rentre dans le moule. Il a eu ce qu’il voulait, plus la peine de faire semblant !

Pour conclure, je crois vraiment que le monde est malade. Très gravement malade. Une tumeur gigantesque aux multiples ramifications. Et Trump en est un symptôme. Un symptôme plus virulent et plus visible que tous ceux qui l’avaient précédé.
Reste à savoir si ce symptôme annonce que la phase terminale est amorcée, qu’il est trop tard pour stopper la maladie ou si, au contraire, il va éveiller les consciences de tous les médecins potentiels et que chacun tentera enfin de le soigner, notre monde agonisant.

mardi 19 juillet 2016

(Di)visions

- Papi !

La voix de ma petite fille me semble arriver de très loin. Où est-elle encore allée se fourrer ?

- Papi ! Papi !

La voix se rapproche. Je suis assis dans mon fauteuil. Je pose mon livre sur la petite table à côté de moi et attends que la furie arrive. Quelques secondes plus tard, elle entre en trombe dans le salon et se précipite sur moi. Elle est essoufflée mais parvient à articuler :

- Papi ! Regarde ce que j’ai trouvé dans le grenier. Qu’est-ce que c’est ?

Elle pose l’objet sur mes genoux. Je suis prêt à la gronder puisqu’elle n’est pas autorisée à fouiller dans les malles qui sont alignées depuis des années sous les combles, mais je reste sans voix. J’ouvre la boite en carton défraîchie. J’enlève le polystyrène et le papier bulle, qui à eux seuls ne manquent pas de laisser perplexe ma petite fille, et sors de son emballage un ordinateur. C’est un petit notebook noir. Ca doit faire 40 ans que je ne l’ai pas vu. Je le caresse doucement pour nettoyer la poussière qui s’y est déposée malgré les protections. Ma petite fille s’impatiente :

- Papi, c’est quoi ?
- C’est un ordinateur ma chérie. Je m’en servais quand j’avais une vingtaine d’années.
- Tu veux dire …

Elle laisse sa phrase en suspens quelques secondes avant de poursuivre :

- … pendant la Période d’avant, c’est ça ?
- Oui, c’est exactement ça, jeune fille.

Elle semble surexcitée. Je ne comprends pas pourquoi les jeunes sont si fascinés par cette Période ? Certainement parce qu’ils ne la connaissent pas. Ils ne font que l’effleurer à travers leurs livres d’histoire et grâce à quelques films ou documentaires qui osent l’aborder. Mais ceux-ci sont très rares. Les générations qui ont vécu cette Période ne veulent plus en parler. On dirait que nous avons peur de transmettre aux enfants un virus qui les ramèneraient vers la folie que nous avons vécue il y a 40 ans.

Pourtant, cacher quelque chose à un jeune, il en sera d’autant plus curieux...Je décide donc de saisir l’occasion qui m’est offerte de donner un début d’explications à ma petite fille.

- Va me chercher un adaptateur pour brancher cette prise, dis-je en lui montrant l’antique fil électrique.

Dégourdie et curieuse, elle sait exactement de quoi j’ai besoin et me ramène rapidement le bon accessoire. Je me demande pourquoi j’ai encore cet adaptateur, et même pourquoi on en a fabriqué un jour. Comme quoi, les anciens ont peut-être gardé un tout petit peu de nostalgie et ont envie de pouvoir se replonger dans leur vie passée s’ils le souhaitent.

Je branche l’ordinateur qui s’allume rapidement. Etonnant comme il fonctionne encore bien après si longtemps. Je ne sais pas s’il va être capable de se connecter à l’actuel réseau internet. Celui-ci est tellement plus sophistiqué. En effet, un « pop-up », comme on le disait à l’époque, m’indique « connexion WIFI échouée. Veuillez réessayer ».

- C’est quoi du WIFI ?, déchiffre la fillette.
- C’est ce qui nous permettait d’aller sur internet.
- C’était votre téléphone alors ?

Elle a déjà vu ce mot dans des livres et n’en comprend pas trop la portée. Aujourd’hui, le Réseau, comme on le nomme, ne sert qu’à communiquer. Ses ondes sont sans aucun danger pour l’homme et il permet de se parler par écran interposé. Plus de téléphone, d’ordinateur, de tablette, nous avons seulement un écran dans le salon qui nous sert à appeler notre famille ou à regarder un film. Nous ne ressentons plus le besoin incessant d’être connecté et d’avoir à portée de main un outil de communication. Il reste à la maison et cela nous convient très bien. Je finis par répondre :

- Internet me permettait de faire beaucoup de choses à cette Période. On écoutait de la musique, on regardait des films, on s’envoyait des messages, on consultait notre compte en banque, on achetait des choses, on faisait nos courses…

Elle m’interrompt :
- Je ne comprends rien. C’est quoi « faire des courses » ou « consulter son compte j’sais pas quoi » ?

Je double-clique sur l’icône du navigateur internet, retrouvant mes anciens réflexes. Une page blanche s’affiche avec au milieu la barre de recherche google. Inutile d’essayer d’y saisir quelque chose, il n’y a pas de connexion… Et puis, google n’existe plus depuis bien longtemps ! Je referme et essaie d’ouvrir les différentes applications. D’abord celle de ma banque puisqu’on vient d’en parler. Une série de chiffres apparaît.

- Quand j’étais jeune, tout le monde mettait son argent sur un compte en banque. Regarde, ajouté-je en riant, moi j’avais moins 122 euros sur le mien.
- Comment tu pouvais avoir quelque chose en moins ? Si c’est moins que zéro, ça n’existe pas ?
- C’est vrai ma puce. Tu as tout à fait raison. Mais tout était comme ça en 2016 : on achetait plein de choses en payant avec de l’argent virtuel. Tout transitait par les ordinateurs. Certains gagnaient beaucoup d’argent comme ça.
- Et ils en faisaient quoi de cet « argent » ? demande-t-elle comme s’il s’agissait d’un gros mot.
- Ils achetaient de nouvelles choses.
-Et ils faisaient quoi avec ces nouvelles choses ? Ca pouvait être quoi par exemple ?
- Des meubles, des maisons, des voitures, des livres, des voyages, de la nourriture …
- De la nourriture ? Il fallait donner ce que tu appelles de l’argent pour manger ?
- Oui, tu achetais de quoi te nourrir dans les supermarchés, réels ou virtuels.

La petite est effarée. Pour essayer de lui faire comprendre, j’ouvre l’application de mon supermarché en ligne. A l’écran s’affiche la page telle qu’elle était le jour où je l’ai fermée il y a 40 ans : une liste de courses est prête. De la bière, des pâtes, des chips. Une vraie liste d’étudiant ! La petite regarde les images sans comprendre.

- Mais qu’est-ce que c’est que ces aliments ? Il y a des boites bizarres !
- La même chose que ce que tu connais aujourd’hui mais déjà transformés, prêts à être consommés.
- Tu veux dire que vous donniez de l’argent pour avoir des aliments tout prêts et conservés dans ces horribles boîtes, plutôt que d’aller cueillir un fruit dans votre jardin ?
- Et oui. Tu sais, on vivait dans des grandes villes où la plupart n’avaient pas de jardin. Et même ceux qui en avaient un, ça ne suffisait pas à nourrir une famille. Seuls certains, des agriculteurs, élevaient des animaux ou cultivaient des fruits ou des céréales. Ensuite ils les vendaient à quelqu’un qui les transformait en steack, en boulettes, en confiture. Ce quelqu’un vendait à un grossiste, qui revendait à un supermarché qui nous revendait.
- Mais c’est idiot. Pourquoi vous n’achetiez pas directement à celui qui faisait pousser les fruits. Vous auriez gagné du temps !
- Comme tu dis ma poupette ! On voulait toujours plus de choses en donnant toujours moins d’argent. Alors les agriculteurs utilisaient des produits dangereux pour faire pousser les fruits plus vite et pour en vendre de plus en plus.
- C’est n’importe quoi, me coupe la fillette. Montre-moi autre chose. Ca qu’est-ce que c’est ?

Elle désigne une icône bleue avec un « f ». Facebook. Je clique. Là encore, apparaît mon mur tel qu’il devait être la dernière fois que j’ai ouvert mon ordinateur. Ce devait être fin décembre 2016. Avant qu’on entre dans la Période d’après.

Tandis que je fais glisser la souris, des mots oubliés défilent devant mes yeux : attentats, morts, daesch, classe politique, élections, unité nationale, nucléaire, innocents … Sans que je m’en rende compte, une larme coule sur mon visage. Ma petite fille ne semble plus excitée. Elle fixe la larme qui descend le long de ma joue.

- Papi, je suis assez grande maintenant. Raconte moi comment c’était et comment on a basculé dans la période d’après.

Je cherche mes mots. Elle ne peut pas comprendre. Elle vit dans un monde de paix. Pas de religion. Pas de politique. Pas de démocratie ni de dictature. Pas d’argent. Pas de bourse. Pas de riches, pas de pauvres. Pas d’attentat. Pas d’autre mort que celle que la nature apporte à force de vieillesse. Comment lui expliquer ? Je me lance :

- En 2015 et 2016 il y a beaucoup de morts : des accidents sur les routes, des avions qui s’écrasent, des maladies qu’on ne soigne pas car les remèdes sont vendus trop chers, des produits nocifs répandus partout sur terre, des gens qui meurent de faim…

Elle ne dit plus rien mais m’observe d’un air grave et attentif. Je poursuis :

- Et puis il y a les attentats. Partout, tout le temps. Ce sont eux qui ont été la goutte d’eau je crois. Le 14 juillet, celui de Nice avait laissé la France chancelante, dépassée, haineuse. On avait tué des enfants. Après il y en a eu d’autres : Francfort, Manchester, Istambul. Plus le temps passait, plus le monde semblait sombrer dans la folie. La limite a été atteinte fin décembre. Le jour de Noël, l’état islamique a réussi à faire exploser une centrale nucléaire à Dallas. La ville a été rayée de la carte en quelques secondes.

Elle est médusée. Elle ne comprend pas Noël, ni l’EI. Elle ne sait pas ce qu’était le nucléaire. Toutes ces technologies dangereuses ont été effacées de la mémoire collective. Mais pourtant elle m’invite à poursuivre.

- Donald Trump venait d’être élu président des Etats Unis. Ca faisait un mois qu’il était au pouvoir. Ce type était complètement dingue. Aussitôt il a voulu répliquer. Deux jours plus tard, une bombe atomique explosait sur le territoire de l’EI, entre la Syrie et l’Irak.

Je reprends mon souffle. Des gouttes de sueur se sont maintenant ajoutées à mes larmes.





*****
Proposition 1 : Si vous croyez en l’humanité, je vous invite à lire cette suite :

- C’était le truc de trop. Le monde entier a semblé sentir qu’il fallait agir. Il avait fallu des millions de morts pour qu’enfin une conscience collective se mette en place. Les informaticiens les plus brillants se sont regroupés et ont hacké tout ce qu’il était possible de hacker. Ils ont empêché toute communication entre les membres de daesh. Ils ont pénétré les serveurs de tous les gouvernements, de toutes les banques et ont transféré l’argent d’un compte à l’autre au gré de leurs envies. Tout est allé tellement vite que les hommes politiques, focalisés sur LEUR guerre, n’ont rien anticipé. Dans le même temps, tous les peuples sont descendus dans les rues. La jeunesse ne voulait plus de la société qu’on lui proposait. On a pillé des banques, brûlé les sièges des grandes multinationales, démonté pierre après pierre chaque bâtiment institutionnel.
- Tu y étais toi Papi ?
- Oui, ma puce, j’étais à Paris. Je revois encore très clairement le quartier de la défense en flammes. L’incendie a duré plusieurs jours. C’était de la folie ….


*******
Proposition 2 : si vous ne croyez plus en l’humanité, je vous propose plutôt cette suite :

- C’était le truc de trop. Etrangement, la terre a semblé atteindre elle aussi la limite de ce qu’elle pouvait supporter. Avant que Trump continue, avant que l’EI ne réplique, elle a mis son veto à la folie humaine. Début 2017, elle nous a montré qu’elle était la plus forte et que notre bêtise n’irait pas plus loin. 4 des plus grands volcans de la planète ont explosé pratiquement en même temps : Le Yellowstone aux Etats-Unis, le Vésuve en Italie, le Sinabung en Indonésie et le Chiveloutch en Sibérie.
- Est-ce que ce sont les bombes nucléaires qui ont fait ça ?
- Probablement pas même si les américains se sont demandés si l’explosion de Dallas n’avait pas déclenché l’éruption du Yellowstone. Mais je ne crois pas ma chérie. Et puis de toute façon, on n’a pas vraiment pu continuer à se poser des questions.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ?
- Eh bien la vie s’est pour ainsi dire, arrêtée. En tous cas, la vie telle qu’on la connaissait. Pendant des semaines, les 4 volcans ont craché de la lave et des cendres, obscurcissant le ciel de toute la planète. Il n’y a pas eu d’été cette année-là. Juste de longs jours gris, interminables. Toute l’économie s’est effondrée. Plus rien ne pouvait circuler, plus rien ne pouvait fonctionner : pas d’avion, pas de camion, pas d’usine, pas d’agriculture. On a vécu de nos réserves. Mais surtout on a appris à vivre autrement, avec la certitude que nous n’étions que des grains de sable, que des jouets dont la nature pouvait disposer à sa guise. Nous avons réappris à la voir, à l’estimer.

********

Elle se serre maintenant contre moi. Je sens qu’elle aussi pleure. Je referme l’ordinateur, le range dans son papier-bulle et son polystyrène puis dans son carton et dis :

- Ca suffit pour aujourd’hui, je suis épuisé. Va remettre ça où tu l’as trouvé s’il-te-plaît.

Elle ne se fait pas prier. Elle en a assez entendu. Et moi j’en ai assez dit. Je laisse tomber ma tête en arrière. Tandis que les souvenirs se bousculent, je sens que je m’assoupis peu à peu…

Quand j’ouvre à nouveau les yeux, j’ai l’impression que seules quelques minutes se sont écoulées. Pourtant l’obscurité qui a envahi la pièce me fait rapidement comprendre que j’ai dormi plusieurs heures . Je dresse l’oreille, je n’entends pas la petite. C’est étrange. Est-elle encore en train de fouiller dans les malles du grenier ? L’ordinateur est posé sur mes genoux. Je croyais lui avoir dit de le ranger. J’appuie sur une touche du clavier pour qu’il s’éveille lui aussi. La lumière diffusée par l’écran me laisse voir mes mains. Je les observe, interloqué. Ce sont les mains d’un homme jeune. Elles sont lisses, aucune ride ne les marque encore. J’ai du mal à me réveiller, mon cerveau navigue encore entre un état semi-inconscient et la pleine réalité. Je fixe alors l’écran pour essayer de comprendre ce qui m’arrive. Un fil twitter est ouvert. Il parle d’attentat à Nice, de coup d’état en Turquie, d’état d’urgence. Je glisse la souris en bas de l’écran pour faire apparaître l’horloge. 19 juillet 2016, 22h22.





samedi 25 juin 2016

Panem et circenses – acte 2 - inondations à Wasselonne et Westhoffen - 24 juin 2016








Du pain et des jeux, actes 2- 24 juin 2016. Oubliés à nouveau les jeux. L’Euro s’est justement tu pour quelques jours, le temps de passer des phases de poules aux 8e de finale. L’info du jour, c’est le brexit. Le séisme, le choc : le Royaume Uni a voté sa sortie de l’Europe. On s’offusque ou on se réjouit, au choix. Tiens, ça me fait penser à quelque chose : les équipes du Royaume Uni, qui on ne sait pas trop pourquoi, sont d’ailleurs désunies le temps de cet Euro, peuvent-elles terminer la compétition ? Mais là n’est pas le sujet, les journalistes, les économistes, les places boursières ne plaisantent pas avec ça. Haro sur les britanniques !! Le petit peuple a bêtement voté pour un truc qui va avoir un impact monstrueux sur notre économie. Tous les superlatifs y passent ! L’élite est perplexe ! Ils oublient juste de se demander pourquoi le « petit peuple » a voté comme ça ...

Mais peu importe, en ce 25 juin, dans les petits villages d’Alsace, l’Euro, la victoire du Racing lors de la finale du Top 14 ou le Brexit ne sont pas les sujets de conversation qui priment. Pas besoin de comprendre l’alsacien pour savoir de quoi parlent tous les villageois ce matin quand ils se croisent à la boulangerie. La nature s’est à nouveau rappelée à nous. Nous sommes peu de choses. On ne veut pas le voir et pas l’admettre et pourtant si Dame Nature a décidé qu’un orage tomberait ici, et bien tant pis pour nous si on est sur son chemin.

En tous cas, nous voilà obligés à nouveau d’oublier tout ce qu’il se passe loin d’ici et de revenir à des considérations pragmatiques et locales.

Je vais raconter ce 24 juin encore une fois de mon point de vue. L’idée n’est pas de raconter de ma vie mais de partager une vision à un instant T. C’est ma propre vision mais je suppose que certains s’y retrouveront et auront vécu des émotions quelques peu similaires.

La journée a débuté comme les deux dernières, c’est à dire sous un soleil de plomb. 23 ou 24 degrés dès le matin. Plus de 30 au plus chaud de la journée. Depuis mon bureau, je ne vois qu’un petit coin de ciel bleu et même si je sais que des orages sont prévus, je suis surprise quand je regarde facebook en quittant le boulot et que je découvre que des bouches d’égouts débordent à Westhoffen. Ca me paraît d’abord complètement décalé, voire impossible mais quand je sors et que je vois le ciel noir en direction du sud, je me dis que c’est peut-être vrai finalement …

Je quitte le travail en me demandant combien de temps je vais rouler avant de me retrouver en dessous de ces gros nuages… longtemps finalement. Il n’y a qu’en arrivant à Wasselonne qu’il commence à pleuvoir. Et encore, le plus gros de l’orage est passé. Je pense alors pouvoir rentrer sans encombre. Manque de chance, ce sont les 3 derniers kilomètres qui seront les plus compliqués ! La petite route entre Wasselonne et Westhoffen, toute en bosses, montées et descentes, est envahie par le trop-plein d’eau qui déborde de tous les côtés. Les fossés sont saturés et s’étalent sur la route. A chaque chemin croisé, sa petite coulée de boue. La route est quasi impraticable et pourtant je suis et je croise beaucoup de voitures. C’est l’heure de sortie des bureaux, il y a du monde qui circule. Quand je réussis enfin à arriver à l’entrée de Westhoffen, une file de voitures essaie de sortir de la rue du Fruehof. Je leur fais signe de s’arrêter, leur dis que s’ils peuvent éviter, il vaut mieux ne pas s'engager sur la route de Wasselonne. Mais je ne trouve pas d’écho : on me dit que c’est pareil de l’autre côté. Le conducteur d’une camionnette qui tire une remorque me répond qu’il doit rentrer au dépôt. Certes … Peut-être que ça aurait pu attendre 10 minutes mais après tout, c’est lui qui voit !

Ce que je ne sais pas à ce moment-là, c’est que la RN4 est dans le même état : contournement de Marlenheim, Kronthal : l’eau dévale d’un peu partout et rend la circulation compliquée !

Même punition pour l’entrée de Westhoffen depuis Balbronn ou Traenheim : le ruisseau a débordé et la route est progressivement envahie.

Il ne pleut plus maintenant et l’eau qui était montée des égouts saturés, redescends aussi vite qu’elle était venue. En sortant le chien, qui a quand même envie de faire sa balade, je passe devant un restau où on me dit qu’il y avait 15 cm d’eau quelques minutes plus tôt. Pareil pour la fleuriste mais elle me quitte rapidement en me disant qu’il y a pire ailleurs dans le village car il y a eu des coulées de boue qui sont descendues depuis les collines et qu’elle doit aider des plus sinistrés qu'elle.

A pieds ou en voiture, on ne peut pas aller bien loin car beaucoup de routes sont coupées. Alors me revoilà sur internet, comme il y a un peu plus de 2 semaines, pour essayer de suivre ce qu’il se passe, pour savoir si mes amis ne sont pas touchés. D’ailleurs, ça marche dans les 2 sens puisque beaucoup s’inquiètent de ce qu’il se passe à Westhoffen. Les réseaux sociaux, c’est génial pour tout savoir dans ces cas-là. Info trafic Bas-Rhin, Météo Suivi Alsace permettent de suivre la situation en direct grâce aux photos et commentaires des internautes de toute l'Alsace. Mais ce que certains peuvent être agaçants parfois ! Ils n’hésitent pas à y aller de leur smiley ou autre « mdr » à la vue des images d’inondations. D'autres se plaignent car ils n’ont pas une goutte de pluie et qu’il fait trop trop chaud (doit-on leur rappeler que pas plus tard que mardi dernier,c’est à dire il y a 3 jours, les températures ne devaient pas dépasser 18 ??). D’autres rêvent d’un orage car « c’est trop beau à regarder » ou encore pour rafraîchir un peu leur nuit. J’ai juste envie de leur répondre qu’ils sont en train de commenter des photos de villages inondés et, qui dit villages inondés, dit dégâts, meubles, électroménagers et autres biens fichus, nettoyage et gens très affectés etc etc …

A Westhoffen, plus tard dans la soirée, alors que le soleil et la chaleur sont revenus, beaucoup passent voir l’étendue des débordements près de la salle polyvalente. Le carrefour est encore inondé et les enfants s’amusent d’aller y patauger avec leurs bottes en caoutchouc. Le parc de jeux est encore pour partie sous l’eau. L’enceinte en bois du terrain de pétanque a glissé de plus d’un mètre.

La nuit est ensuite agitée pour beaucoup. La météo promet de nouveaux orages violents et elle ne se trompe pas. On est réveillé par les coups de tonnerre et le bruit des trombes d’eau qui s’abattent à nouveau. Wasselonne a droit à son nouveau cauchemar : ce ne sont pas les mêmes rues que le 7 juin cette fois, mais des scènes similaires : on écope, on racle, on pompe l’eau qui envahit les caves et les garages. La RN4 est à nouveau envahie,le quartier de l’ancienne gare, l’entrée du village en venant de la route de Westhoffen, Brechlingen. La Mossig déborde …

Bref, c’est reparti. Les sinistrés du 7 juin ont dû passer une mauvaise nuit. Comment ne pas regarder chaque noirceur comme une vision cauchemardesque ? Chaque grondement de tonnerre lointain comme le signe d’une prochaine inondation ? Est-ce que ça va encore recommencer ? Quand est-ce que ça va se terminer ?

Les pompiers sont à nouveau mobilisés. Ils ont dû passer une bonne partie de leur soirée et de leur nuit à vider des caves, des garages, peut-être des maisons et on ne peut qu’être admiratif du boulot que font ces hommes.

Ce samedi, on retrouve le ballet des pelleteuses, des nettoyeuses. Le camion de la SDEA tourne pour vérifier chaque bouche d’égout (enfin, je suppose que c’est ce qu’ils font). A Wasselonne, les pompiers tentent de vider le bassin de rétention qui, vu les traces de boue et l’état du grillage tout autour, a certainement débordé cette nuit. Certaines routes sont redevenues brunâtres alors que la plupart avaient été soigneusement nettoyées. Les panneaux « route barrée » fleurissent à nouveau. Entre Wasselonne et Westhoffen, de l’eau coule encore depuis les champs. Elle rejoint toute celle qui sature encore les fossés.

Heureusement, la météo nous dit que c’est fini pour cette fois. On devrait retrouver le soleil rapidement. « Jusqu’à quand ? », ne peut-on s’empêcher de se demander. Et si c’est la question qui est sur toutes les lèvres aujourd’hui près de chez moi, c’est probablement le cas un peu partoutdans le Grand Est. Je citerai, au gré de ce que j’ai vu circuler sur le net : Saverne dont le centre ville était sous 25 cm d’eau, Geispolsheim, Romanswiller à nouveau, Strasbourg, Kuttolsheim, Balbronn, Still, Salenthal et probablement tant d’autres dans les régions voisines ...


Panem et circenses... j’espère qu’il n’y aura pas d’acte 3.  

lundi 20 juin 2016

Chronique d’une journée ordinaire dans un village ordinaire

A l’ouverture des yeux ou des volets ce matin, s’enthousiasmer de voir enfin le soleil briller ! Finies la pluie et la grisaille, c’est l’été et le ciel bleu est de retour. Ne pas tenir compte de ce que dit la météo ! Il pleuvra ce soir ? Tant pis, on verra bien ! Pour l’instant il faut profiter !

Boire un café. Mettre le nez dehors pour la promenade matinale du chien. Les collégiens et les lycéens sont déjà partis en bus. C’est bientôt l’heure de l’école pour les primaires : une dizaine d’enfants attend devant. Les instits sont déjà là mais le portail n’est pas encore ouvert. Une maman embrasse son petit. Un plus grand lance un vague signe de main à la sienne. Pas de démonstration d’amour devant les copains en CM2 ! Trop la honte ! La cloche retentit, les portes s’ouvrent et la nuée d’enfants déferle dans la cours.

On se presse devant la boulangerie. Des ouvriers boivent leur café avant de partir sur le chantier. Un « papy » vient chercher son journal et sa baguette, comme tous les matins. Dans le centre du village, on démonte les stands et les chapiteaux, seules traces de la journée de fête des cerises qui a battu son plein la veille malgré le temps incertain. On a mangé des quantités de tartes flambées, on a réussi à grapiller quelques cerises, on s’est baladé parmi les camelots, on a mangé des glaces parce que c’est de saison, on a écouté les concerts. Le match de l’équipe de France a été diffusé dans la soirée afin de patienter jusqu’à l’heure du feu d’artifice qu’on a enfin réussi à tirer en profitant d’une éclaircie un peu plus longue que les autres ….

Petit détour par Wasselonne. Quelqu’un qui traverserait le bourg ne penserait pas qu’il était inondé il y a moins de quinze jours. La vie a repris son cours. En passant dans les rues qui ont le plus souffert, on se rend compte que toutes les fenêtres et portes sont grandes ouvertes, pour espérer faire sécher les murs. Vite, vite, profiter de ces quelques rayons de soleil et de la douceur de l’air, qui pour une fois n’est pas humide ! Ici, on nettoie les traces de boue de la façade à coups de karcher, là on voit encore des morceaux de laines de verre qui attendent d’être ramassés. Des chaises de jardin sèchent devant un garage. Le PMU est à nouveau ouvert et accueille déjà de nombreux clients à cette heure matinale.

Se garer sur le parking de la rue des Messieurs. Il y reste quelques traces de boue pour nous rappeler qu’il était sous l’eau. Les rues abîmées ont été gravillonnées pour être à nouveau utilisables. Une seule est encore barrée. Rejoindre le marché du lundi matin qui a envahi le centre : on se bouscule pour acheter ses fruits, ses légumes, son pain, ses œufs frais. L’ambiance y est agréable. On se rencontre, on se salue, on échange quelques mots, on remplit son cabas.

Un peu plus tard on croise déjà les enfants qui rentrent de l’école. Les nounous sont là pour les accompagner, les faire manger, les ramener deux heures plus tard.

L’après-midi, encadrer les enfants du collège qui vont voir un spectacle. Les suivre en descendant à pieds de l’établissement jusqu’à la salle des fêtes. Les entendre rire, s’invectiver, s’insulter copieusement, s’embêter, se taquiner. Les regarder admirer le spectacle, se moquer et envier à la fois leurs copains montés sur scène pour participer. Les écouter râler parce que c’est nul mais s’esclaffer à chaque blague. Les raccompagner jusqu’au collège. Arriver cinq minutes après toute la troupe pour attendre un gamin qui marche plus lentement à cause d’une douleur à la cheville, et l’écouter te raconter sa touchante histoire.

Rentrer à la maison. Remettre le nez dehors dehors pour la promenade de fin de journée du chien. Slalomer autour des voitures garées sur les trottoirs, éviter toutes celles qui circulent pour rentrer dans le village. Il est 17h30, c’est l’heure où les rurbains rentrent du travail. Les petites rues se transforment provisoirement en autoroutes. Dans une heure, tout sera revenu à la normale.

C’est aussi l’heure d’affluence au « kiosque de Lili » où on peut acheter des fraises et des cerises bien rouges, de la rhubarbe ou des asperges suivant la saison. Les fraises attirent l’œil et les voitures s’arrêtent pour les emporter. 



Un peu plus loin, une dame profite du temps clément pour nettoyer sa cour au karcher. Faire un détour pour ne pas se faire arroser, laisser le chien patauger dans les flaques d’eau.

Entendre des hurlements d’enfants qui jouent sur un trampoline. S’éloigner du village pour rejoindre les chemins de terre toujours boueux. Les cerisiers ont encore quelques fruits bien rouges.


 Baisser les yeux et tirer sur le chien pour que cette fois, il évite la flaque d’eau noire qui s’écoule du fumier posé au bord du chemin.

Croiser quelques voitures qui, pour éviter le long détour de l’autoroute du centre-ville, préfèrent prendre les chemins de traverses, y compris en Audi A3 …

Admirer inlassablement le paysage : vignes, arbres fruitiers, entrée de la route des vins, collines puis montagnes.

Regarder l’avion descendre vers l’aéroport tout proche. 


Croiser des cyclistes, toujours les mêmes : tenues complètes, lunettes de soleil, gourde, ils sont prêts pour le Tour de France. Ils viennent probablement de rentrer après leur journée de travail. Peut-être que passer deux heures à jouer avec leurs enfants (ou plutôt à les entendre hurler « je veux pas faire mes devoirs », « je veux pas prendre ma douche ») ne les branchait pas après une fatigante journée de travail et qu’ils ont préféré laisser à leur femme le soin de gérer ça (elles le font tellement bien) pour aller se détendre en avalant quelques kilomètres de bitume ?

Croiser à nouveau quelques restes de la fêtes des cerises : incontournables banderoles Crédit Mutuel !!



Ou bien le panneau oublié d’une autre fête récente ! Il a un air penché, non ?

























Sur la route on peut encore voir les marques du vide-grenier du mois dernier.


















Aux abords de la rue de l’enfer, des jeunes filles « squattent » les bancs de vignerons. Qu’y échangent-elles ? Leur journée au collège ou au lycée ? Leur BAC en cours ou leur brevet imminent ? Leurs amours heureuses ou déçues ? En tous cas, elles sont là, des heures durant, à se raconter leur vie. Plus tard, d’autres feront comme elles. Ils seront un peu plus vieux, feront tourner quelques canettes de bière et une ou 2 cigarettes en maudissant leurs parents, leur petit-frère qui leur pique leur MP3 ou qui monopolise la télé, leurs profs qui leur donnent encore des devoirs alors que l’année scolaire touche à sa fin. Ils se diront leur impatience de partir en vacances ou leur tristesse de ne pas voir leurs copains pendant tout l’été parce qu’ils vont voyager de grands-parents en grands-parents.


Un peu plus loin, le chemin des écoliers nous rappelle qu’il est le lieu favori des promeneurs de chiens, au grand dam de tous les autres qui doivent subir les déjections des chers toutous dont les maîtres n’ont pas encore compris l’usage des petits sacs plastiques à leur disposition aux deux extrémités du chemin. Alors, à force de voir son enfant zigzaguer avec son cartable à roulettes au milieu des cacas disgracieux, on finit par se fâcher et se lâcher par des petits mots bien sentis. Le chemin reste propre quelques jours. La pluie et le vent finissent par avoir raison du petit papier et le chemin redevient la « canicrotte » qu’il était. Un éternel recommencement que tous les villages connaissent.


Il est 18h, les derniers parents viennent rechercher leurs enfants au périscolaire. Rouges écarlate, ils entrent en courant dans la garderie, s’excusant, au choix, de la réunion qui a duré, des bouchons pour sortir de Strasbourg. Les enfants leur sautent dans les bras ou boudent parce qu’ils sont en retard et qu’ils vont rater leur série préférée qui commence à 18h ! Puis chacun rentre chez soi...


















C’est l’été aujourd’hui, le ciel est déjà redevenu gris mais qu’importe, les odeurs de barbecue flottent malgré tout dans l’air à cette heure. Un petit apéro en terrasse, des saucisses, une salade verte achetée au kiosque ou à la ferme et on se régale avant le prochain match. Russie-Pays De Galles, ça devrait au moins nous promettre de belles échauffourées entre supporters !

A 22h, la cloche d’argent résonnera dans sa tour de rempart. Les enfants dormiront. Les papas râleront devant le foot. Les mamans termineront la vaisselle (je sais, je fais dans le cliché là, mais franchement, qui va me dire que ce ne sera pas le cas dans la plupart des maisons??). On finira par se coucher. Pour entamer demain la chronique d’une nouvelle journée ordinaire …


dimanche 12 juin 2016

Panem et circenses - Les inondations à Wasselonne - 7 juin 2016

Panem et circenses
Du pain et des jeux…

Des jeux surtout en l’occurrence en ce moment. Deux jours que l’Euro de foot a commencé et on ne parle plus que de cela. Oubliés les grèves et les blocages, ou en tous cas, vus différemment. Il ne faut surtout pas bloquer l’Euro, surtout pas salir l’image de la France par nos grèves à répétition. Alors pendant un mois, on met tout sous le tapis. Ensuite, ce sera les vacances, peut-être que plus personne n’y pensera ! Pour peu que les français aillent loin dans la compétition et toute la France aura soudainement retrouvé son unité. On a ressorti les drapeaux, on est fier d’être français. On ne parle plus des basses polémiques de Benzema, aujourd’hui, l’Euro a démarré alors tout va bien.

On ne parle plus non plus des inondations d’ailleurs… Des inondations ? Où ça ? Oui, bon la Seine a débordé à Paris, ça a fait de jolies photos, on s’est fait un peu peur mais voilà, c’est fini.

Probablement que je n’y penserais pas moi-même si ça ne s’était pas passé à trois kilomètres de chez moi, si la petite ville que je traverse tous les jours, où je fais mes courses, où ma fille va au collège, où habitent plusieurs de mes amis, n’avait pas elle-même été touchée. Certainement que j’aurais tourné la page. J’ai vu les images du Loiret, de la région parisienne, du Nord. Je me suis dit « Les pauvres ! Ca doit être terrible ! » et je suis passée à autre chose.

Mais il n’y a pas eu que ça, il y a eu Wasselonne, Romanswiller et Crastatt et je me suis sentie concernée. Alors, bien sûr, j’ai eu besoin d’en parler, de vous expliquer.

Mardi 7 juin, j’ai quitté le collège de Wasselonne à 18h30 sous des trombes d’eau. Je suis rentrée chez moi tant bien que mal, en me disant qu’il y aurait encore des inondations ce soir-là. J’ai partagé mon avis sur facebook, suivi les réactions des amis. J’ai guidé par téléphone mon homme qui rentrait de Strasbourg : « Attention, ne passe pas là, coulée de boue. Non, là non plus, inondations… etc etc ». Et puis j’ai suivi les statuts, les commentaires, les images sur les réseaux sociaux. Plus la soirée passait, plus les images devenaient impressionnantes. A 21h30, j’ai vu des photos du centre de Wasselonne avec 1 mètre cinquante d’eau dans certaines rues.

On a continué comme ça à suivre en live sur les réseaux sociaux, à découvrir une à une les images de Wasselonne et de Romanswiller. Le lendemain matin, la question était de savoir si on pouvait accéder à Wasselonne. Oui, on pouvait, l’eau était repartie mais elle avait laissé derrière elle un spectacle de désolation. Toute une partie de la ville était inaccessible, les routes barrées, les pompiers partout. C’est étrange de prendre le même chemin que d’habitude et de le découvrir dévasté.

D’après des explications que j’ai pu lire ensuite, les quantités incroyables d’eau qui sont tombées ont gonflé des petits ruisseaux dont une partie est souterraine. Sauf que, ce qui est souterrain n’a pas tenu le choc et l’eau est ressortie partout, transformant plusieurs rues en torrent. La première partie du village a été touchée. Puis l’eau est restée coincée dans un carrefour en montée et s’est accumulée là, augmentant la pression. Ca a quand même permis à la municipalité d’alerter les habitants de la rue d’après. Ils ont juste eu le temps d’aller garer leurs voitures un peu plus loin et de monter quelques meubles avant que « la vague » n’arrive. « La vague », c’est comme ça qu’ils disaient tous en décrivant ce qu’ils avaient vus.

Une fois l’eau retirée, ne restait que la boue. Des quantités hallucinantes de boue qui entourait les meubles, salissait les murs, gondolait les meubles. Ils ont aussi parlé d’une insupportable odeur de fuel, probablement due à des cuves renversées dans les caves inondées.

Les téléphones portables ont photographié, les caméras ont filmé. Les chaînes nationales ont diffusé les images du sauvetage d’une dame que toute la France a vue, tirée au bout d’une corde par une dizaine de gars essayant de lutter contre le courant. Elle s’en est bien sortie, comme tous les autres. Wasselonne a eu « la chance » que ça se passe en début de soirée. On n’ose imaginer ce qu’aurait donné la même vague au beau milieu de la nuit.

Pas de victime donc mais des dégâts à n’en plus finir : des rues littéralement défoncées, le macadam pulvérisé, des voitures emportées, encastrées l’une dans l’autre, des habitations totalement ou partiellement détruites selon leur localisation. Le coût des réparations va être colossal.

En tous cas, ces événements ont eu le mérite de montrer ce qu’était la solidarité. Spontanément, des inconnus se sont présentés pour aider, pour donner un coup de main à vider les maisons, jeter les meubles abîmés, racler et encore racler la boue. La mairie a reçu des quantités d’appels pour proposer des dons ou de l’aide. Les associations se sont mobilisées : scouts, églises, croix-rouge tout le monde était sur le pont dès mercredi matin. Des commerçants ont improvisé un barbecue au milieu d’un parking pour les sinistrés et les bénévoles, ou ont gratuitement mis à disposition des machines à laver. C’est assez surprenant de voir des gens qui ne se connaissent pas s’entraider et échanger. Les sinistrés disaient par exemple qu’ils n’avaient jamais autant discuté avec leurs voisins. Ils les avaient presque rencontrés, découverts sous un nouveau jour.

Les réseaux sociaux ont également retrouvé le sens du mot « social », des centaines de messages ont déferlé sur les pages locales, des groupes se sont créés pour collecter les dons. Chaque demande reçoit des dizaines de réponses. Des vêtements, des frigos, de la vaisselle, beaucoup ont vidé leurs greniers, leurs placards, leurs armoires, pour partager avec les plus touchés.

Je dresse ici un portrait trop idéal me direz-vous. C’est vrai que tout n’est pas si beau. J’ai aussi entendu des chamailleries entre voisins. J’ai vu sur facebook des demandes de dons et juste en dessous des propositions de vente. Et ce qui agaçait aussi fortement les sinistrés, c’étaient les curieux. On a tous envie, ou besoin je ne sais pas trop, de voir mais où est la limite entre le voyeurisme et la simple curiosité ? Elle est fragile et certains la franchissaient allègrement et parfois même sans aucun scrupule. Le summum que j’ai pu voir a quand même été ce monsieur, immatriculé dans un département voisin, qui s’arrête auprès d’une maison sinistrée et lance aux propriétaires « Vous avez été sacrément touchés hein ? ». Puis désignant l’enfant assis à côté de lui, il ajoute avec naturel « Le gamin, il voulait voir hein, alors on fait un tour » et il repart en souriant. Que répondre à cela ?

Voilà, j’ai moi aussi fait le tour je crois. Il n’y a ici que ma vision de spectatrice de ces événements. Je ne prétends pas partager le ressenti des victimes, c’est totalement impossible. Tandis que je suis tranquillement assise dans mon canapé, certains tentent de réaménager leur premier étage avec ce qui a pu être sauvé pour essayer de vivre à peu prés normalement en attendant que le rez-de chaussée soit réparé. D’autres n’ont plus rien du tout et sont sûrement logés à droite ou à gauche. D’autres, épuisés, sont peut-être encore en train d’enlever la boue qui s’est incrustée dans chaque recoin de leurs logements. D’autres encore démontent les meubles tout neufs qu’ils venaient d’installer.

J’ai raconté Wasselonne parce que c’est ce que j’ai vu mais beaucoup de villes et villages ont connu cette situation ces derniers jours. Beaucoup un peu partout en France regarderont l’Euro chez des amis, dans la famille, ou dans un petit coin du premier étage qui n’a pas été inondé.


J’ai évoqué l’Euro, les inondations et la solidarité en vrac dans ce texte. Pour finir j’ai envie de les réunir. Si les français gagnent l’Euro, ils toucheront chacun 300 000€. Si on multiplie par 30 joueurs sélectionnés, ça fait 9 millions d’euros. Admettons qu’il y ait 3000 sinistrés suite aux inondations de ces 3 dernières semaines, je vous laisse faire le calcul ? OK, je vous aide, ça fait 3000€ par famille. Ca pourrait être ça la solidarité, non ? Et là, on pourrait d’autant plus être « Fiers d’être bleus ».  

dimanche 29 mai 2016

Lettre à M. Alain Duhamel



Ce dimanche matin, j’ai lu, comme très souvent, votre chronique dans les DNA. J’aime lire vos chroniques, et en règle général, je me retrouve assez dans vos propos. Mais, en cette matinée de fête des mères, je suis restée quelque peu perplexe et ai eu envie de vous apporter quelques réponses d’une simple citoyenne. J’ai noté quelques points dans l’article auxquels je souhaite vous répondre plus précisément.

1-     Une majorité de français soutient l’action de la CGT, c’est un fait. Est-ce si surprenant que les citoyens aient envie de défendre leurs acquis sociaux ? Pourquoi alors ne votent-ils pas pour la CGT mais plutôt pour un syndicat plus modéré ? Peut-être parce qu’au sein des entreprises, le caractère extrémiste de la CGT peut lasser. C’est ce que je connais en tous cas. La contestation systématique peut paraître abusive.

      Et il y a une marge entre l’intérêt particulier au cœur d’une entreprise et l’intérêt commun que défend actuellement la CGT. Je crois qu’aujourd’hui on l’écoute parce qu’elle s’engage. Elle agit quand beaucoup ne peuvent le faire : parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de faire grève, parce qu’ils n’osent pas le faire de peur de se faire licencier.

      Et puis, je crois qu’aujourd’hui, peu importe aux français que ce soit la CGT ou n’importe qui d’autre. Ce sont juste des gens qui se battent pour une cause qui parle à tous. La loi travail me semble essentiellement un prétexte. Certes, ce fameux article 2 fait peur. Comment ne pas craindre de chantage à l’emploi si la négociation se fait uniquement entre syndicats et dirigeants de l’entreprise. Mais les mouvements actuels, « Nuit debout » compris, expriment essentiellement, je crois, un ras-le-bol général contre une gouvernance qui ne convient plus à personne. Entre fausses promesses, corruptions et passages en force, la gauche a déçu et ceux qui ont voté pour elle adhèrent à ces protestations, peu importe par qui elles sont menées. 


2-     Les derniers chiffres du chômage sont meilleurs. Sans crier au complot, peut-on vraiment croire à cela ? Cette baisse n’est-elle pas un brin factice ? Légèrement arrangée par quelques réformes bien placées au bon moment ? Un certain devoir de réserve m’empêche de m’exprimer plus avant sur le sujet mais je crois qu’on pourrait en débattre un moment.


3-     La CGT combat une politique qui donne enfin des espoirs aux français. De quels français parlez-vous ? En avez-vous rencontré qui avaient de l’espoir dans ces politiques néo-libérales ? Pas moi … Oui nous choisissons de conserver les acquis ! Pourquoi devrions-nous y renoncer ? J’ y reviendrai plus avant dans le point 5.


4-     Effectivement si la CGT l’emporte, et même si elle ne l’emporte pas d’ailleurs, la droite reviendra au pouvoir en 2017 et avec elle des lois encore plus libérales. C’est un fait. Pour autant, cela ne justifie pas de se taire. C’est un mode de fonctionnement politique global qui est ici rejeté. Droite, gauche, c’est du pareil au même. Faudrait-il donc ne pas protester car cela risquerait de compromettre la fin de mandat du moins pire ? Mais le moins pire ne satisfait pas. Peut-être que beaucoup en ont assez de voter par défaut et espèrent encore qu’un autre système puisse naître d’une crise majeure. C’est bien de cela qu’il est question tous les soirs depuis des semaines sur la place de la République ? Donc, non, je ne pense pas qu’il soit de bon ton de pas exprimer un désaccord sous prétexte que ça risque de déstabiliser un peu plus un gouvernement dont plus personne ne veut, au profit d’un autre dont on ne veut pas non plus.


5-     Le sacro-saint argument de « les autres pays européens ont fait des réformes alors on doit en faire ». Je ne connais pas grand-chose en économie et ne pourrais pas débattre sur la bonne ou mauvaise santé des autres pays européens. Mais ce que j’ai envie de dire, c’est que ce que vous appelez de « l’aveuglement » ou du « conservatisme » (je fais ici le lien avec le point 3), n’en est peut-être pas.

      Se plier à la mondialisation, au capitalisme à tout prix, n’est-ce pas ça qu’on pourrait appeler du conservatisme ? Quel choix nous offre-t-on ? Quel choix offrons-nous à nos enfants ? Poursuivre cette culture de la consommation, de la destruction de notre lieu de vie au prix de la réussite outrancière d’une minorité ? Je pense qu’il est là le  conservatisme.

      Le réformisme ne pourrait-il pas prendre la forme d’un autre mode de vie ? Un exemple : quand vous rencontrez quelqu’un, quelle est la première chose que l’on vous demande ? On ne vous interroge par sur vos enfants, sur vos pensées profondes. Non, on vous demande quel est votre travail. Notre société n’est basée que là-dessus : travailler, gagner de l’argent et le dépenser. On est reconnu que par l’emploi qu’on occupe. C’est aussi pour ça que les périodes de chômage sont si difficiles à vivre. Vous perdez tout en étant au chômage : votre moyen d’amasser de l’argent, votre capacité donc à en dépenser et votre appartenance à un groupe.

      Pourquoi alors ne serait-il pas possible d’imaginer que l’envie d’envoyer balader cette mondialisation, cette société capitaliste, ce besoin de s’enrichir à tout prix, y compris en risquant de détruire notre santé, notre environnement, serait peut-être LA solution et serait même totalement progressiste et non vainement conservateur ? Je crois que c’est pour cela qu’on a du mal à accepter les changements qu’on nous propose. On ne nous donne pas d’alternative ! Soit on continue à s’enfoncer dans la spirale prise par la plupart des pays riches de la planète, soit … Rien !


Je ne sais pas si ces quelques éléments peuvent apporter matière au débat. Au pire, on me qualifiera de sotte, au mieux d’utopiste. Mais peu importe, il est aussi important que chacun puisse s’exprimer, même s’il n’a pas pignon sur rue et ne publie pas de chroniques dans des quotidiens régionaux ou nationaux. Alors, je souhaitais vous partager mes réflexions, et les partager avec ceux qui les liront.

jeudi 14 avril 2016

Meurtre au salon du livre



            Faire sa première enquête dans ce nouveau secteur pendant un salon du livre spécialement consacré aux polars, on aurait pu croire à de l’ironie mais c’est pourtant comme ça que j’ai démarré ici.      

            J’avais reçu mon affectation il y a deux mois et l’avais fêtée dignement. Vingt ans que j’étais gendarme dans cette pseudo zone rurale tellement proche de Strasbourg qu’elle en avait tous les défauts : entre trafics de drogue, rixes diverses et vols à la tire dans tous les magasins du coin, je rêvais de ce que je voyais presque comme une retraite !

            Mon premier jour dans ce nouveau poste était un mercredi. Quand je suis arrivé de Strasbourg et que j’ai vu devant moi l’image d’Epinal que m’offrait ce charmant village, niché dans un creux, entouré de collines couvertes de vignes, je me suis senti serein. Que pouvait-il m’arriver ici ?

            J’eus la réponse très rapidement car je fus confronté à mon premier meurtre rural trois jours plus tard. En ce samedi matin, la responsable de la médiathèque était arrivée la première, vers huit heures, pour ouvrir les portes du salon du livre. A peine avait-elle franchi le sas d’entrée qu’elle poussa un hurlement de terreur.

            Quand elle avait quitté la salle la veille, tout était bien en place, chaque livre savamment disposé devant la chaise où siègerait son auteur quelques heures plus tard.  Mais maintenant tout n’était que désordre. Les œuvres gisaient au sol. Tout avait été renversé, déchiré, jeté. Et Martin V., l’auteur le plus en vue du salon, l’alsacien qui avait percé à Paris, était assis au milieu de tout ce fatras.

            Ses yeux révulsés, sa tête penchée selon un angle invraisemblable, le filet de bave qui coulait de sa bouche et la trace sur son cou ne laissaient aucun doute sur son état. De la poche de sa chemise dépassait une carte de jeu. C’était un as de cœur. A côté des chiffres un, on avait ajouté des trois.

            Madame C., responsable de la médiathèque, avait tant bien que mal réussi à sortir son portable de son sac, non sans avoir, dans la panique, préalablement renversé tout le contenu de celui-ci, histoire de rajouter un peu au désordre ambiant.

            Une heure plus tard, je me tenais à ses côtés, observant d’un œil interdit cette étrange scène de crime. La première chose que j’avais demandée en arrivant était du café. Je sirotais avec plaisir le chaud breuvage, laissant la caféine traverser mon corps et réussir tout doucement à mettre mon cerveau suffisamment en éveil pour comprendre ce qui passait ici. J’observai avec intérêt la tasse pour le moins originale que l’on m’avait offerte. Elle était sérigraphiée aux couleurs du salon du livre d’un côté et de l’autre, une ombre en forme de Sherlock Holmes semblait relever encore plus l’ironie de la situation et ne manqua pas de me faire sourire.

            Entre temps, tous les auteurs et officiels étaient arrivés. Le lieu était devenu une vraie basse-cour. Cela piaillait dans tous les coins. Mes collègues tentaient malgré tout de relever des indices, prenaient des photos et s’apprêtaient à éloigner le cadavre de tous ces yeux avides. J’aurais volontiers mis tout le monde dehors sans ménagement mais je savais que j’avais besoin d’eux. Le coupable se tenait probablement parmi cette foule. Je les entendais déjà formuler des hypothèses. 

            Je fis un détour par la cuisine, remplis à nouveau ma tasse et déambulai tranquillement parmi ce petit monde.

            Le maire et mon supérieur avaient bien sûr immédiatement décidé de l’annulation du salon, au moins pour aujourd’hui mais ceux qui auraient dû en être le cœur, s’affairaient à rendre à la salle l’aspect qu’elle aurait dû avoir. On ramassait les livres, on remettait en place les présentoirs, on réinstallait les affiches. Certains pleuraient. Je n’aurais pas su dire si c’était sur la perte de leurs livres ou sur la mort de l’un d’entre eux.

            Je n’aimais pas les auteurs de polars. Ils s’évertuaient toujours à rendre leurs flics cyniques, hideux ou imbus de leur personne, au choix. A part peut-être Harlan Coben, dont le héros m’était fort sympathique et m’amusait beaucoup.

            Je les écoutai malgré tout. J’en interrogeai certains. Une jolie jeune femme blonde, son bébé dans les bras, me raconta que la plupart des auteurs du salon auraient pu être coupables. Martin V. avait signé l’an dernier un énorme contrat d’édition avec une grande maison parisienne et vendu plus de cent mille exemplaires de son dernier roman, ce qui en rendait plus d’un envieux.

            J’avais récupéré sur le corps, la carte de jeu et l’avais glissée dans une petite pochette en plastique. Je la lui montrai en lui demandant si elle avait une idée de ce que ces as devenus treize pouvaient signifier. Elle secoua négativement la tête. J’avais l’impression que la jalousie suintait par tous les pores de sa peau. Etait-elle satisfaite de la mort de Martin V. ? Que lui apportait-elle, si ce n’était la satisfaction de savoir qu’il ne publierait plus de livre ?

            Je continuai d’interroger d’autres auteurs. Je parlai au maire, aux organisateurs. Tous avaient le même discours. Martin V. était une personne aussi brillante que désagréable. Il était méprisant, hautain mais il vendait beaucoup de livres. Les éditeurs et le public l’aimaient. Ceux qui l’avaient rencontré, l’exécraient.

            Je demandai à celle qui avait découvert le corps d’essayer de revoir tout ce qu’elle avait vu, de se souvenir d’un détail. Entre deux larmes, elle essaya de se concentrer. Il lui revint soudain à l’esprit qu’elle avait entendu, ou cru entendre, précisa-t-elle, une porte claquer au moment où elle était entrée.

            Elle me montra les différents points d’accès à la salle. Nous passâmes plusieurs portes. L’une des sorties de secours était mal fermée. Elle me confirma que ce n’était pas normal. J’appelai mes collègues en renfort et nous nous concentrâmes sur cet accès.

            Je fis quelques pas vers la rivière qui s’écoulait en contrebas. Il avait plu la nuit précédente et je trouvai rapidement d’étranges traces. Elles ressemblaient aux empreintes d’un chien mais quelque chose me gênait.

            Le maire qui m’avait suivi me demanda ce qui me laissait si perplexe. Je lui montrai les traces. Nous étions tous deux accroupis, observant bêtement le sol. Quand je relevai les yeux, j’aperçus de l’autre côté de la rivière, un homme qui promenait son chien. L’animal avait une démarche hésitante. Je remarquai qu’il n’avait que trois pattes. C’est cela qui expliquait l’étrangeté des traces que j’avais sous les yeux !

            Le maire suivit mon regard et tomba à la renverse, s’écrasant de tout son poids sur ses fesses trop grasses des excès que lui amenait la mairie.

            Je l’interrogeai et il lança :

-         Mais bien sûr ! Vous venez de résoudre deux enquêtes en un regard. Il y a trois mois, un vendredi treize, un chauffard a renversé le chien de Monsieur M. et l’a laissé sur trois pattes. On avait bien soupçonné Martin V. vu les traces sur sa voiture mais il a toujours nié. Je crois qu’on vient d’avoir la preuve de sa culpabilité !