8% de batterie
C’est tout ce qu’il reste de ton téléphone quand tu le
branches après cette journée
Tu as vécu chaque instant en direct,
La première notif floue, imprécise, mais qui t’a saisi plus
qu’une autre parce qu’elle concernait ce que tu connais si bien, ton quotidien
Les évolutions au cours de la journée
Les échanges avec tes collègues, incessants
8% de batterie
C’est à peu près tout ce qu’il reste de toi aussi quand tu
te couches après cette journée
Tu as vécu chaque instant dans ta tête
Tu as ressenti dans tes mains les mêmes tremblements qui te
parcourent à chaque fois que tu entends le ton monter dans le bureau voisin
Ce moment où tu attends, déconcentré de ta tâche ou de
ton propre entretien, attentif aux échanges, au moindre bruit
Où tu écoutes, puis soupires si ça se calme, soulagé que ce
soit passé
Où tu te lèves pour intervenir si ça continue à monter.
Tu as vécu à nouveau le frisson qui t’avait parcouru l’autre
jour, à l’accueil, quand c’est sur toi qu’on criait
Tu as revu cet entretien, cette femme, cet homme, en larmes
face à toi, démunis, tellement mal
Tu as repassé dans ta tête la détresse que tu côtoies au
quotidien.
Et tu as pensé à elle surtout, elle qui n’avait rien
demandé, elle qui faisait son boulot comme toi,
Sûrement avec humanité, sûrement avec empathie
Elle qui était au mauvais endroit au mauvais moment, victime imprévisible d'une scène qui n'aurait jamais dû se produire.
Tu as pensé à eux, eux qui étaient là, eux qui ont vu, eux
qui ont perdu leur collègue, leur amie, leur parente, eux les inconnus aussi,
venus ce jour-là à leur rendez-vous.
Tu as traversé ta propre zone d’accueil, tu l’as regardée
autrement, avec la perspective de cet instant tragique
Tu as regardé la haine aussi, les flots d’insultes qui même
en ce jour ne se tarissent pas
Des réseaux qui n’ont plus rien de sociaux
Déversoirs de jugements, de rancœurs injustifiées, d’hypothèses
insensées.
Tu as aussi lu la solidarité, la bienveillance, la
compassion
Les dizaines de messages de fraternité, de soutien venus de
tous les horizons.
Tu as parcouru des dizaines d’articles, regardé des
reportages
Tu as cherché à comprendre, à trouver une raison, quelque
chose qui pourrait expliquer l’inexplicable,
Quelque chose qui pourrait le rendre unique, qui pourrait t’assurer
que cela ne se reproduira pas.
Au matin, tu ne sais rien de plus,
Les hypothèses ne sont pas encore devenues certitudes. Le seront-elles
un jour ?
Tu reprends ta place là où tu dois être,
Sans public aujourd’hui, pas trop vite, pas trop tôt
Il faut encaisser, il faut se recueillir, il faut penser à
elle, lui rendre l’hommage auquel elle a droit.
Lundi tu seras là aussi ,
Tu feras ce que tu pourras comme tous les jours,
Même si certains n’y croient pas, même s’ils ne voient en
toi qu’un logo bleu et rouge,
S’ils oublient que derrière lui, il y a des hommes et des
femmes, avec leur âme et leur volonté d’aider.
Tu apporteras ta petite pierre là où tu le pourras,
Tu échoueras parfois, tu t’agaceras, tu trembleras,
Mais tu seras là lundi, et le lundi suivant.
Tu penseras à elle qui ne sera pas là lundi, ni le lundi
suivant.
Et tu garderas au fond de toi, longtemps, le visage que tu
lui as imaginé.
Tu penseras à eux qui la chercheront des yeux avant de se
souvenir, brutalement, qu’elle n’est plus là.
Tu penseras à elle, toujours.
Très beau texte ! Merci
RépondreSupprimerMerci d avoir su trouver ces mots qui font écho à chacun d entre nous...
RépondreSupprimerMerci à vous. Nous avons tous été très touchés par ce drame, aux 4 coins de la France de PE...
RépondreSupprimerBeau message à l'adresse de ceux et celles qui remplisse un service public; la haine de l'autre érigé en doctrine disculpe les principaux responsable. malheureusement l'inconscience et l'individualisme effréné isole l’être humain,pour autant il n'y a pas d’excuse,hommage à cette dame du pole emploi
RépondreSupprimerMerci pour ce texte, c'est tellement juste....
RépondreSupprimerMerci pour ces mots qui décrivent si bien ce qui a pu se passer dans nos têtes, nos âmes....
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