J’ai toujours aimé Noir Désir. C’est Le groupe rock de ma
génération. A la fin des années 90, j’ai écouté et réécouté le 666.667 Club. En boucle. Comme j’adhérais
à ses paroles ! Comme j’étais d’accord avec Cantat quand il chantait sa
haine du FN, sa haine du système, avec des mots que je trouvais toujours justes.
Et puis il y a eu Vilnius. L’impensable. Il est fort
probable que j’ai appris la relation de
Marie Trintignant et Bertrand Cantat en même temps que j’ai appris qu’il l’avait
tuée. J’ai jamais été très people. Mais
bref, c’était le choc. Les images en boucle à la télé. Le procès, la prison.
En même temps qu’était morte une jeune femme sous les coups
de son conjoint, on savait que c’en était fini de Noir Désir.
En vieillissant, j’ai toujours regretté de ne pas les avoir
vus en concert. J’ai aussi toujours continué à les écouter. J’ai continué à
aimer les paroles de Cantat. J’ai continué à aimer sa voix. Malgré tout. Parce
que c’était ma jeunesse. Parce que j’aimais cette voix. Parce que j’aimais ce
qu’il disait, peu importe ce que l’homme avait fait.
Une douzaine d’années a passé et Cantat est revenu avec
Détroit. Discrètement. Il a fait une série de concerts et nous sommes allés les
voir jouer. Et oui, j’ai aimé, j’ai adoré chanter avec lui A mon étoile, Comme
elle vient ou Tostaki. A l’époque
de Détroit, il n’y avait pas grand monde pour s’offusquer du retour de Cantat. Il a
fait sa tournée de concerts. Il y a certainement eu quelques articles, quelques
personnes qui ont exprimé leur mécontentement mais rien de terrible.
Et arrive la fin de 2017. Cantat sort son album solo. Il fait
la Une des Inrocks. Cette Une, certainement inutile et malvenue, déclenche un
tollé. Mais ça retombe vite finalement. En quelques jours, on n’en entend plus
parler.
Et arrive 2018. Cantat démarre sa tournée. Là, c’est une
envolée. Des levées de boucliers sur les réseaux sociaux. Des articles dans
tous les médias, d’abord pour annoncer sa tournée. Ensuite pour relayer ses
détracteurs. Des échanges plus virulents les uns que les autres dans les
commentaires, des insultes. Les spectateurs de ses concerts sont honnis, conspués.
Lui, n’en parlons pas.
Le concert à Strabourg a lieu le 7 mars, veille de la journée des Droits des
Femmes. Et Cantat devient soudain le symbole unique des violences faites aux
femmes. Des manifestations sont prévues devant la Laiterie. Des demandes faites
à la mairie pour interdire le concert, des pétitions signées. Malgré tout, il a
lieu. Dans le calme, avec juste quelques tags et quelques caméras de télévision
qui attendent le clash et repartent bredouilles.
La polémique continue à enfler. Des départements refusent
des subventions à des festivals s’ils maintiennent Cantat. Des manifestations
se mettent en place à l’entrée de ses concerts. Ceux qui vont le voir sont
interpellés.
Cantat annonce annuler sa participation à tous les festivals
prévus cet été. Calmement, dans une publication sur facebook, simple, sobre et
humble. Première victoire pour ses détracteurs.
Le même jour, une émission diffuse une interview de la mère
de Marie Trintignant, qui, et c’est bien normal, s’offusque qu’il chante, qu’il
se produise sur scène. Impossible de la blâmer de penser ça. Elle a perdu son
enfant. Sa réaction épidermique quand Léa Salamé veut lui présenter la Une des
Inrocks est tout à fait compréhensible.
Le lendemain, 2è victoire, un nouveau concert est annulé. Et
la 3e victoire s’y ajoute puisque Cantat sort de sa réserve, va au
contact des manifestants devant la salle de concert de Grenoble. On l’insulte,
on lui jette des projectiles. Et ça marche. Cantat se lâche, dénonçant l’acharnement
qu’il subit. Du pain béni pour ceux qui sont contre lui.
Jusqu’où est-ce que tout cela ira ? Je n’en ai aucune
idée. On ne tardera sans doute pas à le savoir.
La question que je me pose c’est qu’est ce qui a changé en 3
ou 4 ans ? Qu’est-ce qu’il s’est passé entre la tournée de Détroit et
celle de Cantat ?
Est-ce parce que maintenant il chante sous son propre nom ?
Ou est-ce que ce sont les conséquences de l’affaire
Weinstein, des #Metoo et de tout ce qui va avec ?
Ou est-ce que cela va plus loin que ça ? Est-ce que c’est
ce poison, qui s’insinue de plus en plus dans notre société, qui fait que
chacun donne son avis sur tout et n’importe quoi ? Moi la première, me
direz-vous. Mais j’essaie d’interroger, de questionner, de donner mon point de
vue dans l’objectif d’échanger. Dans le cas Cantat, ce n’est pas de cela qu’il
s’agit. Comme pour beaucoup de sujets d’ailleurs. On juge, on hait, on dénonce,
on hurle, on insulte. Le débat n’existe plus. Chacun a raison. L’anonymat des
réseaux sociaux a favorisé ce type de comportements. C’est tellement plus
simple de hurler derrière un pseudo. Mais la haine sort des écrans, elle se
propage. Quand elle parvient à faire interdire un concert, à faire fléchir une
mairie, les programmateurs d’une salle de spectacle, un département ; ne
sommes-nous pas en droit de nous demander si cela ne va pas trop loin ?