Faire sa
première enquête dans ce nouveau secteur pendant un salon du livre spécialement
consacré aux polars, on aurait pu croire à de l’ironie mais c’est pourtant
comme ça que j’ai démarré ici.
J’avais
reçu mon affectation il y a deux mois et l’avais fêtée dignement. Vingt ans que
j’étais gendarme dans cette pseudo zone rurale tellement proche de Strasbourg
qu’elle en avait tous les défauts : entre trafics de drogue, rixes
diverses et vols à la tire dans tous les magasins du coin, je rêvais de ce que
je voyais presque comme une retraite !
Mon premier
jour dans ce nouveau poste était un mercredi. Quand je suis arrivé de
Strasbourg et que j’ai vu devant moi l’image d’Epinal que m’offrait ce charmant
village, niché dans un creux, entouré de collines couvertes de vignes, je me
suis senti serein. Que pouvait-il m’arriver ici ?
J’eus la
réponse très rapidement car je fus confronté à mon premier meurtre rural trois
jours plus tard. En ce samedi matin, la responsable de la médiathèque était
arrivée la première, vers huit heures, pour ouvrir les portes du salon du
livre. A peine avait-elle franchi le sas d’entrée qu’elle poussa un hurlement
de terreur.
Quand elle
avait quitté la salle la veille, tout était bien en place, chaque livre
savamment disposé devant la chaise où siègerait son auteur quelques heures plus
tard. Mais maintenant tout n’était que
désordre. Les œuvres gisaient au sol. Tout avait été renversé, déchiré, jeté.
Et Martin V., l’auteur le plus en vue du salon, l’alsacien qui avait percé à
Paris, était assis au milieu de tout ce fatras.
Ses yeux
révulsés, sa tête penchée selon un angle invraisemblable, le filet de bave qui
coulait de sa bouche et la trace sur son cou ne laissaient aucun doute sur son
état. De la poche de sa chemise dépassait une carte de jeu. C’était un as de
cœur. A côté des chiffres un, on avait ajouté des trois.
Madame C.,
responsable de la médiathèque, avait tant bien que mal réussi à sortir son
portable de son sac, non sans avoir, dans la panique, préalablement renversé
tout le contenu de celui-ci, histoire de rajouter un peu au désordre ambiant.
Une heure
plus tard, je me tenais à ses côtés, observant d’un œil interdit cette étrange
scène de crime. La première chose que j’avais demandée en arrivant était du café.
Je sirotais avec plaisir le chaud breuvage, laissant la caféine traverser mon
corps et réussir tout doucement à mettre mon cerveau suffisamment en éveil pour
comprendre ce qui passait ici. J’observai avec intérêt la tasse pour le moins
originale que l’on m’avait offerte. Elle était sérigraphiée aux couleurs du
salon du livre d’un côté et de l’autre, une ombre en forme de Sherlock Holmes semblait
relever encore plus l’ironie de la situation et ne manqua pas de me faire
sourire.
Entre
temps, tous les auteurs et officiels étaient arrivés. Le lieu était devenu une
vraie basse-cour. Cela piaillait dans tous les coins. Mes collègues tentaient
malgré tout de relever des indices, prenaient des photos et s’apprêtaient à
éloigner le cadavre de tous ces yeux avides. J’aurais volontiers mis tout le
monde dehors sans ménagement mais je savais que j’avais besoin d’eux. Le
coupable se tenait probablement parmi cette foule. Je les entendais déjà
formuler des hypothèses.
Je fis un
détour par la cuisine, remplis à nouveau ma tasse et déambulai tranquillement
parmi ce petit monde.
Le maire et
mon supérieur avaient bien sûr immédiatement décidé de l’annulation du salon,
au moins pour aujourd’hui mais ceux qui auraient dû en être le cœur,
s’affairaient à rendre à la salle l’aspect qu’elle aurait dû avoir. On
ramassait les livres, on remettait en place les présentoirs, on réinstallait
les affiches. Certains pleuraient. Je n’aurais pas su dire si c’était sur la
perte de leurs livres ou sur la mort de l’un d’entre eux.
Je n’aimais
pas les auteurs de polars. Ils s’évertuaient toujours à rendre leurs flics
cyniques, hideux ou imbus de leur personne, au choix. A part peut-être Harlan
Coben, dont le héros m’était fort sympathique et m’amusait beaucoup.
Je les
écoutai malgré tout. J’en interrogeai certains. Une jolie jeune femme blonde,
son bébé dans les bras, me raconta que la plupart des auteurs du salon auraient
pu être coupables. Martin V. avait signé l’an dernier un énorme contrat
d’édition avec une grande maison parisienne et vendu plus de cent mille exemplaires
de son dernier roman, ce qui en rendait plus d’un envieux.
J’avais
récupéré sur le corps, la carte de jeu et l’avais glissée dans une petite
pochette en plastique. Je la lui montrai en lui demandant si elle avait une
idée de ce que ces as devenus treize pouvaient signifier. Elle secoua
négativement la tête. J’avais l’impression que la jalousie suintait par tous
les pores de sa peau. Etait-elle satisfaite de la mort de Martin V. ? Que
lui apportait-elle, si ce n’était la satisfaction de savoir qu’il ne publierait
plus de livre ?
Je continuai
d’interroger d’autres auteurs. Je parlai au maire, aux organisateurs. Tous
avaient le même discours. Martin V. était une personne aussi brillante que
désagréable. Il était méprisant, hautain mais il vendait beaucoup de livres.
Les éditeurs et le public l’aimaient. Ceux qui l’avaient rencontré,
l’exécraient.
Je demandai
à celle qui avait découvert le corps d’essayer de revoir tout ce qu’elle avait
vu, de se souvenir d’un détail. Entre deux larmes, elle essaya de se
concentrer. Il lui revint soudain à l’esprit qu’elle avait entendu, ou cru
entendre, précisa-t-elle, une porte claquer au moment où elle était entrée.
Elle me
montra les différents points d’accès à la salle. Nous passâmes plusieurs
portes. L’une des sorties de secours était mal fermée. Elle me confirma que ce
n’était pas normal. J’appelai mes collègues en renfort et nous nous concentrâmes
sur cet accès.
Je fis
quelques pas vers la rivière qui s’écoulait en contrebas. Il avait plu la nuit
précédente et je trouvai rapidement d’étranges traces. Elles ressemblaient aux
empreintes d’un chien mais quelque chose me gênait.
Le maire
qui m’avait suivi me demanda ce qui me laissait si perplexe. Je lui montrai les
traces. Nous étions tous deux accroupis, observant bêtement le sol. Quand je
relevai les yeux, j’aperçus de l’autre côté de la rivière, un homme qui
promenait son chien. L’animal avait une démarche hésitante. Je remarquai qu’il
n’avait que trois pattes. C’est cela qui expliquait l’étrangeté des traces que
j’avais sous les yeux !
Le maire
suivit mon regard et tomba à la renverse, s’écrasant de tout son poids sur ses
fesses trop grasses des excès que lui amenait la mairie.
Je
l’interrogeai et il lança :
-
Mais bien sûr ! Vous venez de
résoudre deux enquêtes en un regard. Il y a trois mois, un vendredi treize, un
chauffard a renversé le chien de Monsieur M. et l’a laissé sur trois pattes. On
avait bien soupçonné Martin V. vu les traces sur sa voiture mais il a toujours
nié. Je crois qu’on vient d’avoir la preuve de sa culpabilité !