jeudi 14 avril 2016

Meurtre au salon du livre



            Faire sa première enquête dans ce nouveau secteur pendant un salon du livre spécialement consacré aux polars, on aurait pu croire à de l’ironie mais c’est pourtant comme ça que j’ai démarré ici.      

            J’avais reçu mon affectation il y a deux mois et l’avais fêtée dignement. Vingt ans que j’étais gendarme dans cette pseudo zone rurale tellement proche de Strasbourg qu’elle en avait tous les défauts : entre trafics de drogue, rixes diverses et vols à la tire dans tous les magasins du coin, je rêvais de ce que je voyais presque comme une retraite !

            Mon premier jour dans ce nouveau poste était un mercredi. Quand je suis arrivé de Strasbourg et que j’ai vu devant moi l’image d’Epinal que m’offrait ce charmant village, niché dans un creux, entouré de collines couvertes de vignes, je me suis senti serein. Que pouvait-il m’arriver ici ?

            J’eus la réponse très rapidement car je fus confronté à mon premier meurtre rural trois jours plus tard. En ce samedi matin, la responsable de la médiathèque était arrivée la première, vers huit heures, pour ouvrir les portes du salon du livre. A peine avait-elle franchi le sas d’entrée qu’elle poussa un hurlement de terreur.

            Quand elle avait quitté la salle la veille, tout était bien en place, chaque livre savamment disposé devant la chaise où siègerait son auteur quelques heures plus tard.  Mais maintenant tout n’était que désordre. Les œuvres gisaient au sol. Tout avait été renversé, déchiré, jeté. Et Martin V., l’auteur le plus en vue du salon, l’alsacien qui avait percé à Paris, était assis au milieu de tout ce fatras.

            Ses yeux révulsés, sa tête penchée selon un angle invraisemblable, le filet de bave qui coulait de sa bouche et la trace sur son cou ne laissaient aucun doute sur son état. De la poche de sa chemise dépassait une carte de jeu. C’était un as de cœur. A côté des chiffres un, on avait ajouté des trois.

            Madame C., responsable de la médiathèque, avait tant bien que mal réussi à sortir son portable de son sac, non sans avoir, dans la panique, préalablement renversé tout le contenu de celui-ci, histoire de rajouter un peu au désordre ambiant.

            Une heure plus tard, je me tenais à ses côtés, observant d’un œil interdit cette étrange scène de crime. La première chose que j’avais demandée en arrivant était du café. Je sirotais avec plaisir le chaud breuvage, laissant la caféine traverser mon corps et réussir tout doucement à mettre mon cerveau suffisamment en éveil pour comprendre ce qui passait ici. J’observai avec intérêt la tasse pour le moins originale que l’on m’avait offerte. Elle était sérigraphiée aux couleurs du salon du livre d’un côté et de l’autre, une ombre en forme de Sherlock Holmes semblait relever encore plus l’ironie de la situation et ne manqua pas de me faire sourire.

            Entre temps, tous les auteurs et officiels étaient arrivés. Le lieu était devenu une vraie basse-cour. Cela piaillait dans tous les coins. Mes collègues tentaient malgré tout de relever des indices, prenaient des photos et s’apprêtaient à éloigner le cadavre de tous ces yeux avides. J’aurais volontiers mis tout le monde dehors sans ménagement mais je savais que j’avais besoin d’eux. Le coupable se tenait probablement parmi cette foule. Je les entendais déjà formuler des hypothèses. 

            Je fis un détour par la cuisine, remplis à nouveau ma tasse et déambulai tranquillement parmi ce petit monde.

            Le maire et mon supérieur avaient bien sûr immédiatement décidé de l’annulation du salon, au moins pour aujourd’hui mais ceux qui auraient dû en être le cœur, s’affairaient à rendre à la salle l’aspect qu’elle aurait dû avoir. On ramassait les livres, on remettait en place les présentoirs, on réinstallait les affiches. Certains pleuraient. Je n’aurais pas su dire si c’était sur la perte de leurs livres ou sur la mort de l’un d’entre eux.

            Je n’aimais pas les auteurs de polars. Ils s’évertuaient toujours à rendre leurs flics cyniques, hideux ou imbus de leur personne, au choix. A part peut-être Harlan Coben, dont le héros m’était fort sympathique et m’amusait beaucoup.

            Je les écoutai malgré tout. J’en interrogeai certains. Une jolie jeune femme blonde, son bébé dans les bras, me raconta que la plupart des auteurs du salon auraient pu être coupables. Martin V. avait signé l’an dernier un énorme contrat d’édition avec une grande maison parisienne et vendu plus de cent mille exemplaires de son dernier roman, ce qui en rendait plus d’un envieux.

            J’avais récupéré sur le corps, la carte de jeu et l’avais glissée dans une petite pochette en plastique. Je la lui montrai en lui demandant si elle avait une idée de ce que ces as devenus treize pouvaient signifier. Elle secoua négativement la tête. J’avais l’impression que la jalousie suintait par tous les pores de sa peau. Etait-elle satisfaite de la mort de Martin V. ? Que lui apportait-elle, si ce n’était la satisfaction de savoir qu’il ne publierait plus de livre ?

            Je continuai d’interroger d’autres auteurs. Je parlai au maire, aux organisateurs. Tous avaient le même discours. Martin V. était une personne aussi brillante que désagréable. Il était méprisant, hautain mais il vendait beaucoup de livres. Les éditeurs et le public l’aimaient. Ceux qui l’avaient rencontré, l’exécraient.

            Je demandai à celle qui avait découvert le corps d’essayer de revoir tout ce qu’elle avait vu, de se souvenir d’un détail. Entre deux larmes, elle essaya de se concentrer. Il lui revint soudain à l’esprit qu’elle avait entendu, ou cru entendre, précisa-t-elle, une porte claquer au moment où elle était entrée.

            Elle me montra les différents points d’accès à la salle. Nous passâmes plusieurs portes. L’une des sorties de secours était mal fermée. Elle me confirma que ce n’était pas normal. J’appelai mes collègues en renfort et nous nous concentrâmes sur cet accès.

            Je fis quelques pas vers la rivière qui s’écoulait en contrebas. Il avait plu la nuit précédente et je trouvai rapidement d’étranges traces. Elles ressemblaient aux empreintes d’un chien mais quelque chose me gênait.

            Le maire qui m’avait suivi me demanda ce qui me laissait si perplexe. Je lui montrai les traces. Nous étions tous deux accroupis, observant bêtement le sol. Quand je relevai les yeux, j’aperçus de l’autre côté de la rivière, un homme qui promenait son chien. L’animal avait une démarche hésitante. Je remarquai qu’il n’avait que trois pattes. C’est cela qui expliquait l’étrangeté des traces que j’avais sous les yeux !

            Le maire suivit mon regard et tomba à la renverse, s’écrasant de tout son poids sur ses fesses trop grasses des excès que lui amenait la mairie.

            Je l’interrogeai et il lança :

-         Mais bien sûr ! Vous venez de résoudre deux enquêtes en un regard. Il y a trois mois, un vendredi treize, un chauffard a renversé le chien de Monsieur M. et l’a laissé sur trois pattes. On avait bien soupçonné Martin V. vu les traces sur sa voiture mais il a toujours nié. Je crois qu’on vient d’avoir la preuve de sa culpabilité !