mardi 7 mars 2023

Instants de manif

Strasbourg, 7 mars 2023

J'aime me promener en ville les jours de manif. En arrivant, on traverse des rues où la vie suit son cours, comme si de rien n'était.

Mais là rapidement, je vois la vitrine d'un traiteur qui a été couverte de peinture noire, entre les magasins Vuitton et autres marques de luxe. Pourquoi ? Quel lien avec les retraites ?

Puis je m'approche du lieu de départ. Premiers drapeaux, premiers gyrophares , et toujours des gens qui se baladent, indifférents.

Sur la place Broglie une pétition à signer pour un référendum sur les retraites.

Je marche au milieu des voies de tram, plus rien ne circule ici.

Des touristes interrogent des gens qui distribuent des tracts pour savoir ce qui se passe. Ils tentent de leur expliquer mais la barrière de la langue les empêchent de se comprendre.

Premiers chants qui viennent jusqu'à moi. "La retraite à 60 ans, on s'est battus pour la gagner, on se battra pour la garder".

"Les patrons, les patries, le patriarcat, cette société là, on n'en veut pas".
Ce sont les jeunes qui scandent ce dernier slogan.

Beaucoup de journalistes aussi, appareils photo autour du cou.

Sur les pancartes, c'est le bonheur qui est recherché, le travail malmené, Macron décrié :
  • Ici un sigle anarchiste,
  • Des Gaulois réfractaires en colère,
  • Non au travail à mort, 
  • Résistance,
  • 49-3, 47-1,
  • Primum non nocere,
  • Triez vos ordures, n'en faites pas des ministres.
  • Pourra-t-on enfin vivre après la mort ?
  • La France des milliards n'a qu'à mettre au pot,
  • Berceau boulot Tombeau,
  • Ton grand père c'est mon stagiaire, 
  • Retraitez nous correctement

Je tente de repérer les professions ou secteurs :
Architectes, enseignants, chômeurs, cheminots, ONF peut-être avec les tronçonneuses, infirmiers ("quitte à être saignés, autant que ce soit utile" sur leur pancarte), industries, métaux...

Un homme, la cinquantaine, bien sapé, dit à sa fille de 10/12 ans "Regarde les CRS, ils sont là avec leur tenue de Goldorak" et se moque ouvertement d'eux.

Tous les âges, du gris, du blanc, du blond, du brun, du noir, toutes les couleurs de cheveux se mélangent.

L'avant traverse la place Broglie, quand la fin n'a certainement pas encore démarré.

Je longe la manif à rebours, la place de la République est remplie. Un pétard fait sursauter la foule.

Arrivée rue de la liberté, eh bien on n'en voit pas le bout !

Ici on distribue des autocollants "personne n'a craqué".

La CFDT se fait voir et entendre, une longue ligne orange au son de "there is Magic in the air".

Maintenant FO en rouge, "chauffeuse de salle" sur le camion qui les harangue et les fait crier et chanter. "Tous ensemble, tous ensemble, grève générale".
"Yannick a préparé une playlist pour vous faire danser et chanter" dit elle tandis que la voix de Johnny la rejoint dans les hauts parleurs. "Allumer le feu" bien sûr. 

Sud industrie ensuite, puis le bleu de la CFTC, et l'autre nuance de bleu des UNSA : transport, ferroviaire et sûrement d'autres, je ne vois pas toutes les chasubles.

Ça se calme ici , je suis devant l'église Saint Paul. 15h05, la fin du cortège n'est pas partie. Au milieu du pont, seul, un homme alcoolisé chante. Un petit entrepreneur vendeur de café ambulant, propose son breuvage pour réchauffer les corps.

Ça y est, la fin du cortège se met en marche.

Je remonte le cortège, ça danse chez FO, sur "je suis en feu" de Soprano.

A la CFDT on est sur Gold, "laissez nous chanter", et on arbore des masques à l'effigie de Borne, Dussopt ou Macron. Ah, Madame qui porte le masque de Dussopt porte aussi une pancarte : "le nouveau suppo de Macron, 10 fois plus profond".

Pendant ce temps, la vie normale continue et une camionnette tente de traverser le cortège.

Ambiance calme , sourires sur les visages. 

Une pancarte m'intrigue :
"64 ans à Mathis, 65 ans à l'hospice". J'interroge un de ceux qui la portent. Il m'explique que Mathis c'est le lycée, qu'il y a plusieurs sections de profs de lycée qui se suivent dans le cortège, que ça commence à bouger.

Beaucoup d'enfants tiennent la main de leurs parents.

Je remonte la place Broglie. La CFDT s'ennuie certainement en fond de cortège et double par les voies de tram.

Un joueur de tambour un peu esseulé. Un peu plus loin un chanteur un peu seul crie dans son mégaphone "nous on bosse pour des quetsches, on ne peut pas l'accepter".

Je continue d'avancer, c'est enfumé dans la rue de la mésange. Ici c'est Grégoire, "toi + moi" qui sort d'un haut parleur. La foule avance, calmement. 

Les ouvriers d'un chantier, assis sur leur camionnette attendent que ça se vide pour partir j'imagine.

Je repasse devant le traiteur peint de noir. "Rends l'argent" a été ajouté. Vuitton a baissé le rideau et la vitrine est couverte d'autocollants. Les voix autour de moi déplorent toutes. "Ça décrédibilise le mouvement", dit-on.

Place de l'homme de fer, je n'ai pas atteint le début de cortège. Une sirène retentit.
Une jeune au téléphone dit à son interlocuteur qu'il n'y a que des vieux. Les pompiers stationnent à proximité, prêts. Bruits de pétards à l'avant mais je ne vois rien.

Place Kleber, une pancarte attire mon œil : "Hervé, 80 ans n'a pas tous ses trimestres, il aurait dû être sénateur".

Les galeries Lafayette sont repeintes en vert, couvertes de slogan anticapitalistes.

Des SDF regardent passer le cortège.

Les magasins sont ouverts. Seuls les magasins de luxe et banques sont visés par les tags.

Les pétards claquent toujours devant. 

La CGT chante toujours, "tous ensemble, tous ensemble eh. Quand il faut y aller, la CGT est là".

Je n'ai toujours pas réussi à rattraper le début de cortège... Je n'en suis qu'aux tronçonneuses . Des points de vue s'échangent au gré du cortège, on se tape sur l'épaule.

"Vélo, boulot, tombeau" affichés sur un mur.

Beaucoup de gens regardent passer le cortège. D'autres tracent leur route , indifférents. Mais c'est peut être l'impression que je donne aussi, les yeux sur mon téléphone.

J'ai rattrapé les jeunes. Ça danse derrière un camion, au son d'un reggae électro. Les basses font trembler les alentours. Chez les jeunes toujours, banderole "Marx attacks".

C'est difficile de progresser ici, même les trottoirs sont blindés de monde.
"Jeunesse précaire, capitalistes prospères, de cette société on ne veut pas".
Drapeau d'Action antifascistes Strasbourg, ça chante "ça va péter". Beaucoup sont tout en noir, capuches et masque. "Nous sommes en guerre sociale, contre le capital".

Plus de dégradations ici par contre.

En approchant du quai des pêcheurs, j'ai atteint la tête de cortège, devancé par quelques policiers. Ça parle politique. Ou bien de toute autre chose. "Bolloré, Canal plus et leur propagande".

Ici, tous les syndicats sont mêlés. C'est le seul endroit. Il y a des gilets de toutes les couleurs.

Assez improbable, un couple pas tout jeune, seul sur un trottoir et qui scandent des slogans anticapitalistes en distribuant des autocollants.

Les journalistes se croisent et se saluent. Les policiers gèrent les déviations. Les trams et les voitures circulent malgré tout.

La cathédrale, imperturbable, veille sur les manifestants qui remontent tranquillement le long de l'Ill.

"Siamo tutti antifascisti", entonnent les jeunes en se dirigeant vers la place de la République.

"Macron démission" est tenté en tête de cortège, mais sans grand succès. On s'arrête un long moment.

Beaucoup de monde sur le pont regarde la longueur du cortège (dont on est loin de voir la fin).

La marche reprend, certains commencent à se disperser.

Un rayon de soleil accompagne l'arrivée. Le calme était revenu mais ça recommence à chanter derrière.

Un homme se demande "je ne sais pas ce qu'ils vont faire" .
C'est exactement ça... 
Et maintenant ?

La musique résonne toujours, les jeunes dansent toujours. On se regroupe pour la photo finale. Les abords du TNS deviennent une boîte de nuit. On bouge au son de la techno.

La foule se disperse tout doucement. Je m'éloigne à mon tour, les jambes plus lourdes des quelques kilomètres piétinés.

Retour à cette sensation de décalage en retrouvant les rues de la ville qui sont redevenues calmes. Les CRS nous interdisent de prendre le pont vers la place Broglie, allez savoir pourquoi...

D'autres CRS un peu plus loin boivent un café en riant. Ça démontre, s'il en est besoin, l'ambiance bon enfant de cette manif.

Les cyclistes klaxonnent les manifestants qui s'aventurent sur la piste cyclable, des enfants crient dans une cours d'école toute proche, le réel reprend ses droits...

Fin de la parenthèse.




























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