Quand vous
vivez dans un charmant village alsacien, entouré de collines couvertes de
vergers et de vignes, vous êtes bien loin des images dont les chaînes
d’information en continu se repaissent quotidiennement.
La violence
ici ? Les bagarres pendant les récrés, après que ce voyou de Nicolas a
chapardé le plus beau stylo de Joachim.
La délinquance ? Les trois jeunes qui s’approprient tous les soirs
la cour de l’école, y laissent traîner leurs mégots et parfois, quand ils s’ennuient
un peu plus que les autres jours, se défoulent une boîte aux lettres. La
fraude ? Un gros mot que vous entendez souvent dans telle ou telle
passionnante émission d’une quelconque chaîne de la TNT (sur laquelle vous vous
arrêtez souvent en zappant, mais ça, vous ne l’avouerez jamais devant
témoin !).
Et puis, un
jour, la fraude se rappelle à vous. Elle vous fait comprendre, insidieusement,
que dans votre petit paradis, vous ne lui êtes pas totalement étranger. Au
détour d’une étrange ligne de dépense sur votre relevé de compte, elle vous
chuchote qu’elle est bien là, à l’affût, prête à bondir sur vous si l’occasion
se présente : vous rentrez du sport un samedi midi et votre femme vous
demande à quoi vous avez bien pu dépenser 800€ en milieu de semaine. Vous lui
demandez si elle a perdu la tête ! Puis vous vous demandez si VOUS avez
perdu la tête. Parce que vous la voyez cette ligne de dépense sur l’écran de
votre smartphone et que c’est bien avec votre numéro de carte bleue qu’elle a
été faite. Alors vous vous mettez presque à douter. « Qu’est-ce que j’ai
fait ce jour-là ? ».
Vous
réfléchissez, vraiment. Puis votre cerveau finit par vous accorder la paix en admettant
que ce n’est pas vous. Ouf, un instant vous vous êtes cru tout près de la
maladie mentale.
Maintenant que
vous avez retrouvé vos esprits, il ne vous reste qu’à agir : téléphoner
pour faire opposition, faire un mail à la banque pour leur signaler le problème
(parce que c’est samedi, alors la banque est fermée, sinon ce serait trop facile),
prier pour que d’autres débits n’arrivent pas dans les prochains jours,
vérifier et re-vérifier que toutes les autres lignes de ce satané relevé de
compte correspondent bien à des achats que vous avez vraiment effectués.
En sortant de
chez vous un peu plus tard, vous vous sentez soudain moins seul : quand
vous racontez votre mésaventure à un voisin, il vous répond avoir subi la même
chose il y a quelques jours ! Même somme, même façon de faire, même type
de dépense (un site de téléphonie mobile). Et un de ses collègues aussi, il y a
quelques semaines, a vu plus de 1000€ s’envoler de son compte.
Vous décidez
de vous rendre à la gendarmerie de la petite ville voisine. Vous n’êtes pas un
habitué du lieu bien sûr, la dernière fois que vous y êtes allé, c’est quand
vous avez égaré votre permis de conduire ! On vous accueille cordialement
mais nouvelle surprise : la dame qui attend dans la salle d’attente est là
pour la même raison que vous !
Le gendarme
note scrupuleusement tout ce que vous racontez. Il vous explique que vous ne
pouvez pas porter plainte parce que vous n’êtes pas la victime !
« Mais c’est quand même bien sur mon compte que la somme a été
débitée ! » Patiemment, il vous rappelle que la banque va vous
rembourser et que c’est donc elle la
victime. « Alors la banque va porter plainte ? ». Probablement pas,
vous répond le gendarme. Ca ne mène jamais à rien, ils sont assurés et ce genre
de fraude mène presque toujours à l’étranger.
Vous hochez la
tête, décontenancé. Ca vous fait réfléchir : on peut donc frauder en toute
impunité, aucun risque de se faire prendre puisqu’il n’y a pas de plainte, donc
pas d’enquête. Vous tentez de parler de votre voisin, de la dame en salle
d’attente. Dans votre tête, tous les scénarii défilent : une caissière
malveillante au magasin du coin, une caméra placée sur le distributeur de
billets du village. Vous regardez trop la télé… Mais le gendarme est plus
pragmatique. Des déclarations comme la vôtre, il doit en saisir 20 à la
semaine. Alors vous repartez avec le papier qui permettra à votre banque de
vous rembourser. Et c’est tout …
Non, ce n’est
pas tout ! Vous ne voulez pas en rester là ! C’est trop facile !
Votre sens moral, vos valeurs sont heurtés. Le type qui vous a fait ça ne peut
pas s’en sortir comme ça ! Il ne va quand même pas recevoir un superbe
téléphone à 800€, que vous ne vous offririez jamais vous-même, en utilisant
votre argent !! Vous contactez alors le site sur lequel l’achat a été
réalisé. Encore une fois, vous êtes reçu très aimablement. Votre demande est
prise en compte. Le colis va être bloqué. Vous voilà soulagé, ce petit c***
n’aura jamais son téléphone ! Vous pouvez reprendre le cours de votre week
end avec l’esprit un peu libéré !
Mais même en
vous promenant dans les vergers en fleurs, en respirant l’air doux du
printemps, votre esprit est pollué par une foule de questions : si tant de
monde est concerné, pourquoi ne peut-on rien y faire ? Doit-on laisser
passer ? Oublier sitôt le compte en banque re-crédité ? Ne
pouvez-vous pas au moins vous
exprimer ?
Alors en
rentrant, vous prenez votre ordinateur, ouvrez votre traitement de texte et
laissez sortir votre désarroi, pour qu’au moins, chacun soit attentif :
qu’il ne laisse pas passer un débit sans y faire attention, qu’il contacte les sites marchands pour
empêcher l’envoi des commandes aux fraudeurs, qu’il alerte sa tante, sa
grand-mère, son vieil oncle qui sont encore plus vulnérables que lui …
Et tout
simplement pour qu’au moins, chacun ne
se sente pas seul face à ces « fraudes ordinaires » …
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